Lyès Boukraa, directeur de l'Inseg, souligne que ce qui se passe en Libye et en Syrie est issu de conflits locaux greffés à une mondialisation des intérêts et enjeux étrangers. Le salut de l'Algérie est dans l'union du Maghreb», et «il faut ouvrir un débat national sur la sécurité nationale», a appelé hier le directeur de l'Institut national des études et stratégies globales (Inesg), Lyès Boukraa. Invité, par le forum du journal Echaab, à analyser la situation en Libye et son impact sur la région, Lyès Boukraa estime que nous sommes devant une nouvelle forme de conflits difficile à maîtriser. «Avec l'effondrement du bloc soviétique, on est passé par une période de transition avec un type différent de conflit que l'Irak va inaugurer», note le directeur de l'Inesg en appelant cette nouvelle forme de conflit «ensemble poly-mogène de conflits». C'est-à-dire qu'on est face à plusieurs conflits ayant pour principal objectif la «reconstitution de l'empire colonial». Ces conflits s'appuient autant sur des facteurs internes aux pays que sur les plans externes pour redessiner la carte du monde. «Ces conflits partent d'abord de situations internes et se cristallisent sur le long terme et le long des espaces transfrontaliers. Ce qui se passe en Libye et en Syrie est issu de conflits locaux greffés à une mondialisation des intérêts et enjeux étrangers. Si par le passé les conflits nationaux n'impliquaient que la dimension nationale, aujourd'hui ils impliquent tout l'espace géopolitique. C'est du fait de cette complexité qu'il est très difficile de gérer ces conflits qui portent en eux des facteurs de régénérescence. Il s'agit d'une somme de conflits emboîtés les uns dans les autres.» Lyès Boukraa avertit que si nous ne faisons rien, le conflit libyen risque de déborder de ses frontières et donc toucher directement les pays voisins, dont l'Algérie. De par sa situation géographique, la guerre en Libye, qui a déjà commencé, risque d'impacter deux espaces régionaux, le Maghreb avec sa profondeur sahélienne et l'arrière-pays de la Corne de l'Afrique, c'est-à-dire un rayon de 15 millions de kilomètres carrés. Le conférencier souligne que l'espace arabe est un des rares à avoir une profondeur historique et c'est aussi un espace, tout comme l'Afrique, riche en ressources naturelles. «Etant en pleine crise profonde, le système capitaliste mondial pense aux matières premières à très faibles coûts pour pouvoir relancer sa machine productive. Pour ce faire, il refuse de négocier avec des Etats-nations mais préfère créer des espaces sans Etat en reconstruisant son empire colonial… Le monde arabe et l'Afrique ont les ressources recherchées et ce n'est pas un hasard s'il s'agit de la zone où il y a le plus de conflits au monde.» Le directeur de l'Inesg affirme aussi qu'aucune puissance étrangère ne peut atteindre un pays sans relais locaux et que la destruction de la Libye s'inscrit dans un plan pour la région MENA imaginé par les Etats-Unis et Israël suivis par d'autres pays occidentaux devant imposer l'entité sioniste comme puissance régionale sans adversaire. «Il faut ouvrir un débat national sur la sécurité et la défense nationales» «L'Algérie est un des rares pays prônant la solution politique en Libye, tous les autres veulent la guerre, l'Egypte, le Maroc, le Soudan et même la Tunisie aujourd'hui», note M. Boukraa en précisant que les pôles sur lesquels va se jouer la résistance de l'Algérie face à la contamination du conflit libyen sont les questions touareg, berbère ainsi que la question islamiste avec sa variante djihadiste. Sans oublier, dira le responsable de l'Inesg, le facteur maffieux qui se traduit par le secteur de l'économie informelle. «L'informel entre dans la destruction des Etats-nations, car il dépend directement de l'influence du capital étranger... Le risque est donc grand et l'enjeu pour l'Algérie est de maintenir l'unité nationale et la stabilité et relancer l'économie, sinon c'est la mort», estime l'invité d'Echaab pour qui le conflit à Ghardaïa est loin d'avoir un caractère interne. «Aucun pays ne peut faire face seul à la situation, nous n'avons pas de chance de survie sans l'espace maghrébin. L'union du Maghreb est la solution», plaide le conférencier en appelant à aller vers une logique de défense nationale. «Le temps des actions individuelles est révolu, il faut penser à faire des alliances ; il n'est dans l'intérêt d'aucun pays à ce que le chaos s'installe dans la région.» Et d'ajouter que la question de la sécurité nationale concerne tous les Algériens et qu'une institution ne peut décider seule de la stratégie à adopter. «Il faut ouvrir un débat national sur les choix de défense que doit faire l'Algérie», dit-il. Un appel qui montre que les Algériens sont exclus du débat sur les questions sensibles relatives à l'avenir du pays. Un constat qui tranche pourtant avec la réponse du même conférencier à la question d'El Watan sur l'impact de l'absence de démocratie réelle dans la création de conflits internes et l'incitation à des interventions étrangères. Pour M. Boukraa, l'Algérie n'est pas gouvernée par un pouvoir autoritaire et l'on se doit de s'estimer heureux d'avoir un «minimum de démocratie». La sensibilité de la situation mériterait pourtant d'avoir une plus grande ambition pour l'Algérie.