Cela a été dit et répété à satiété, le ministre de la Jeunesse et des Sports a eu pour mission d'assainir le mouvement sportif national. Certains ont parlé de nettoyer les écuries d'Augias. Et il n'y a pas été de main morte, provoquant vagues et turbulences au sein des fédérations nationales mais aussi un émoi certain, au CJO et dans les fédérations internationales, notamment celles de football et de l'athlétisme, les plus grosses cylindrées du sport mondial. Des « baronnies » vacillent, certaines naviguent dans l'incertitude, alors que d'autres sont déjà tombées. Des accusations sont lancées de part et d'autre, des insultes ont même fusé loin de grandir leurs auteurs. Des menaces ont été brandies, des anathèmes proférés et l'on a poussé l'outrecuidance jusqu'à en appeler à l'arbitrage du chef de l'Etat. Pourquoi risquer l'excommunication ? Les techniciens, les athlètes, les sportifs, les amoureux du sport, du fair-play, des beaux gestes et de l'éthique sportive n'ont rien compris, ou pas grand-chose, à cet énorme chambardement, à cet assourdissant charivari qui a consommé tant de temps et d'énergie, brisé des carrières et des hommes, pour des résultats que l'on ne perçoit pas encore avec précision dans toute leur ampleur et leurs effets négatifs. Tant de bruit et de fureur pour un jeu qui n'en valait peut-être pas la chandelle. En tout cas, pas au point de risquer l'excommunication du sport algérien — et de ses athlètes qui luttent pour gagner une place au soleil d'un monde compétitif impitoyable — de la part des fédérations internationales qui ont leur politique, leur logique et leurs statuts, avec lesquels on peut ne pas être d'accord, mais qui sont là. Mais au fait, de quoi s'agit-il au juste ? Et quels sont les véritables enjeux ? Il est maintenant reconnu que, depuis près de 15 ans, l'Etat s'étant progressivement désengagé de la chose sportive, le mouvement sportif national a été pratiquement livré à lui-même, ou presque. Il est incontestable que les ASP, prises en charge financièrement par les plus grosses entreprises nationales, dès la mise en application biaisée du Code de l'EPS, ont généré des appétits et aiguisé des intérêts, chez tous les protagonistes dirigeants, entraîneurs et athlètes. Cette période de vaches grasses a pu faire illusion et donner l'impression que l'on venait de découvrir la panacée pour assurer le développement durable du sport national. Toutefois, aux premiers plans d'ajustements structurels, dictés par le FMI, le réveil allait être brutal. Il fallait dégraisser, et c'est le sport et la jeunesse qui commencèrent à payer les frais de cette opération chirurgicale sans état d'âme ni rémission. Reculades et dépérissement de l'Etat Au cours de la même période, le pays entrait dans l'œil du cyclone terroriste. Le désastre et le désordre gagnaient, comme un chancre, toutes les sphères de l'activité nationale. C'est ainsi que, durant ces 15 années d'outrage, de rapt et de rage, et, pour aller à l'essentiel, l'on vit grandir l'influence des forces de la politique et de l'argent au sein du MSN. Leur intrusion anarchique ou calculée, de plus en plus pernicieuse et cancérigène, allait causer les dégâts que l'on identifie aujourd'hui avec stupeur, et ce, dans le même temps où l'on découvre que le pays a évolué, que les valeurs et les repères ont aussi changé de cap et cinglent vers le large de tout ce qui rapporte, ici et maintenant, le maximum de profits. Les jeunes, las d'attendre d'hypothétiques emplois de la part d'un système rentier, décident d'arracher leur place au soleil des adultes, en créant toutes les filières de l'économie informelle représentant, aujourd'hui, 40% du PIB. Le trabendo est désormais reconnu. Il a pignon sur rue et gangrène l'économie administrée, en accentuant son niveau de corruption. Terrorisme, trabendo et effets néfastes de la mondialisation commerciale et financière, entraînent l'Etat dans les reculades et renoncements de la dérégulation, de la déréglementation et de la privatisation forcée ; triptyque infernal auquel nulle nation n'échappe, surtout celles des pays en voie de développement. Le pouvoir : enjeu essentiel ! C'est dans ce contexte réel, qui voit l'Etat céder Ie pas à l'intervention des multinationales et son rôle se réduire à leur servir de marchepied ou de vicariat, qu'il faut appréhender et apprécier les dérives affectant Ie monde économique, social, culturel et éducatif et, enfin, Ie sport. Le sport ne vit pas en dehors de la société. Il y baigne et se trouve affecté par les mêmes maux et les mêmes travers. L'argent et la politique y font bon ménage, et y occasionnent des ravages connus de tous. Des intérêts et rentes de pouvoir ou de situation s'y défendent, des alliances s'y tissent et se défont au gré des rapports de force. Aujourd'hui que Ie pouvoir veut reprendre sa place, réaffirmer son autorité et exercer ses fonctions de contrôle et de régulation, voilà que la maison du sport s'en trouve surprise et ébranlée. Ne nous y trompons pas, l'enjeu essentiel est un enjeu de pouvoir, puisque l'Etat veut réaffirmer sa position de maître du jeu, face à une société sportive qui, depuis 1989, s'est dotée de règles nouvelles, forgées de nouvelles pratiques, assurant sa quasi-autonomie par rapport au pouvoir de l'Etat, sauf au plan financier. Il est donc tout à fait normal que la société sportive appelle la démocratie à la rescousse, dès lors que l'Etat veut à nouveau jouer son rôle, en imposant ses hommes, en modifiant lois, décrets et règles du jeu. Pour sortir de la crise Et dans ce jeu du pouvoir et de l'autorité, dans ce bras de fer du bruit et de la fureur, l'on finit par perdre de vue, des deux côtés de la barrière, l'essentiel de la mission d'abord, développer la pratique de l'éducation physique et du sport au bénéfice du plus grand nombre de jeunes et de citoyens ; pour, ensuite, assurer la représentation du pays au plan international ; c'est-à-dire construire un sport compétitif et performant au plus haut niveau. La crise actuelle a pour avantage de nous recentrer sur Ie problème essentiel que l'on a tendance à perdre de vue, obnubilés par les conflits secondaires et les querelles d'ego ou de chapelles : comment stimuler Ie développement sportif dans tous ses compartiments et assurer leurs nécessaires et complémentaires articulations ? Le développement sportif, nous Ie savons tous, est une équation à quatre variables inter-dépendantes : d'abord les sportifs, que l'on oublie Ie plus souvent sur Ie bord du chemin, tout en étant l'alibi de tous, puis les entraîneurs, les dirigeants et officiels, et les représentants de l'Etat, rassemblés au sein du ministère de la Jeunesse et de Sports à tous les niveaux de la hiérarchie administrative. Pour l'assurer, il est indispensable de sortir de ce face-à-face stérile entre l'Etat, d'une part, et la société sportive, de l'autre (société sportive, partie intégrante de la société civile), pour définir fonctions et rôles devant être assumés par les uns et les autres, pour mettre en œuvre, après dialogue, concertation et clarification, les plans et/ou programmes d'un développement sportif durable, à l'abri des remaniements ministériels ou des changements de majorité, au sein d'une assemblée générale élective. C'est dans cette perspective qu'il me paraît opportun de convoquer des Etats généraux du sport algérien, pour affronter, avec Ie maximum de chances l'échéance immédiate des Jeux africains (nous ne sommes plus qu'à dix mois de la date fatidique), celle des Jeux olympiques de Pékin et à plus long terme du développement sportif dans son ensemble. Ces Etats généraux, s'ils venaient à se tenir, permettraient de rassembler les forces sportives du pays, pour définir les grands axes d'un Pacte national du développement sportif (un autre PNDS), où chaque partie s'engagerait à promouvoir, en articulation avec les autres, dans Ie respect du droit, généré par la concertation, Ie dialogue et Ie débat démocratique. Les Jeux africains sont à nos portes. L'heure est aux urgences et aux véritables réconciliations. Car il n'est de « guerre plus juste » que celle consistant à contribuer au développement de son pays et non à sa ruine. Le docteur Mohammed Yunus et sa Grameen Bank, récent prix Nobel de la paix, viennent de Ie confirmer avec éclat. Puissions-nous nous inspirer de ce fécond exemple.