C'est officiellement parti pour le paiement électronique. Depuis une semaine, les clients de 9 entreprises publiques et privées peuvent payer leur facture en ligne grâce à leur carte bancaire CIB, même s'ils ne peuvent toujours pas faire d'achats sur internet. S'il est de bon augure pour la suite et s'il s'est longtemps fait attendre, le paiement électronique n'intervient tout de même pas dans sa forme la plus attendue par les consommateurs algériens. Certains éléments laissent penser que les choses se sont faites dans la précipitation et que l'objectif principal était de tenir la promesse faite publiquement d'une entrée en vigueur avant la fin de 2016. Le premier indicateur de cette précipitation est le fait que plusieurs millions d'Algériens sont exclus de l'opération pour le moment. Il s'agit des clients d'Algérie Poste qui représentent littéralement la première banque de la place avec plus de 19 millions de comptes gérés en 2015 (chiffre ARPT) et plus de 7 millions de cartes magnétiques distribuées. Or, ces dernières ne sont pas aux normes EMV dont bénéficient les cartes CIB des autres banques. Il s'agit d'un standard international de sécurité des cartes de paiement qui «permet notamment de se prémunir contre la fraude», nous explique un expert en monétique auprès d'une banque privée. «Ces cartes ne sont utilisées que pour le retrait pour l'heure. Elles doivent être mises à niveau, converties», explique-t-il. Cette question devrait être réglée avant le printemps 2017, nous dit-on. Ce retard pourrait peut-être expliquer pourquoi l'ouverture du e-paiement n'est pas généralisée à l'ensemble des web marchands. «Le problème est technique, car la Satim se retrouve avec des millions de cartes qui ne sont pas aux normes EMV. Algérie Poste ne les mettrait en circulation qu'à partir du premier trimestre 2017», soutient Karim Khelouiati, expert dans les TIC. Quid du e-commerce ? Le second indicateur est que le e-paiement ne concerne pas les web marchands qui commercialisent des biens et services sur internet. Autrement dit, le paiement électronique existe mais personne ne pourra acquérir ou vendre un bien en le payant en ligne. «Selon les informations récoltées auprès de notre banque, le lancement du e-paiement se fera en 3 phases. Nous sommes à la première phase qui concerne uniquement les grands facturiers. La deuxième concernera les PME activant dans les services tels que les agences de voyage, assurances, etc. Finalement, la troisième phase touchera les PME proposant des biens, tels que Batolis.com», déplore Samir Bouazabia, General Manager de Batolis.com., car l'intérêt est ailleurs. «Ce qui intéresse les Algériens, c'est de pourvoir acheter et vendre sur internet. Payer ses factures vient après», estime Karim Khelouiati. Pourtant, des exceptions ont été faites pour des entreprises commerciales telles que Air Algérie, Tassili Air Line, Ooredoo et Djezzy. Des exceptions qui se justifieraient par leur importance, selon les responsables, du moins pour ce qui concerne la vente des billets en ligne. En outre, ces entreprises bien implantées ne poseraient pas le risque de disparaître demain dans la nature comme cela serait le cas pour une entreprise de commerce virtuelle. Il faudrait donc peut-être attendre 2017 et la promulgation de la loi sur le e-commerce pour voir le commerce en ligne se déployer. Moatassem Boudiaf, le ministre délégué à l'Economie numérique, a appelé la place interbancaire à l'urgence de «finaliser le cadre normatif et réglementaire relatif au paiement électronique qui viendra libérer les transactions commerciales sur le cyber espace». Car ce texte est prépondérant. «Avec des web marchands privés, des cas de contentieux pourrait survenir. La loi sur le e-commerce n'étant pas encore en place, le client ne serait pas totalement protégé en cas de problème ou défaillance du vendeur», explique un banquier. Or, la loi en question ne sera présentée au gouvernement que vers la fin de l'année, selon le ministre. Le cheminement du processus qui doit aboutir à son adoption par le Parlement et par la suite à la promulgation des textes d'application y afférents prendra donc du temps et si jamais, l'on devait attendre les élections parlementaires de novembre 2017, ce n'est qu'en 2018 que le e-commerce pourrait être possible. «Nous n'avons aucune visibilité actuellement (on nous a promis pour la fin du 1er semestre 2017», affirme Samir Bouazabia. «Nous nous sommes rapprochés de nos banques afin d'entamer le processus de certification de la plateforme en ligne, malheureusement, nous ne pouvons commencer ce processus qu'au lancement de la troisième phase.» Piratage Si la question de la loi dépend d'un agenda politique, d'autres relèveraient plutôt de la culture. Comment inculquer le e-paiement à des consommateurs ne jurant que par le cash. Ce nouveau moyen de paiement «prendra un certain temps d'adaptation, car le consommateur algérien est habitué à payer ces achats en liquide», note Samir Bouazabia, estimant qu'un effort est à faire de la part de tous les acteurs pour promouvoir ce type de paiement. Mais si l'on sait que la simple utilisation des cartes bancaires sur des TPE est marginale, comment amener les clients potentiels à migrer vers le web. Les chiffres communiqués par le directeur du Groupement d'intérêts économiques et monétique (GIE) laissent sceptiques. Le paiement par carte représenterait moins de 1% des transactions bancaires. Seulement 11 000 transactions seraient générées par le million de cartes de paiement distribuées. Moins de 7% des TPE seraient utilisés. Les premières 48 heures ayant suivi le lancement de l'opération ont donné lieu à l'enregistrement de 260 transactions de paiement en ligne. Il n'y a pas de place pour le pessimisme pour autant. De l'avis de Moatassem Boudiaf, il ne faut pas s'attendre à un rush tant que les mots de passe n'auront pas été distribués aux détenteurs des cartes CIB. Mais les mots de passe ne sont pas le seul problème, beaucoup de détenteurs de carte craignent les failles en matière de sécurité informatique et ont peur de se faire voler leurs coordonnés et leurs comptes bancaires. Beaucoup d'assurances ont été données en la matière. «Le groupement géomonétique a tout mis en place pour la sécurité de la plate-forme», nous dit un expert de la monétique. «Avec les grands facturiers, il n'y a pas de problème», assure-t-il. La sécurité de la carte «relève de la sécurité de la plateforme mise en place par la Satim dont il n'y a absolument rien à craindre. Le risque viendrait plutôt de la sécurité du point d'accès internet du client», c'est-à-dire son PC et sa connexion qui sont susceptibles d'être piratés s'ils ne sont pas bien sécurisés, explique Karim Khelouiati. Le m-paiement en attente Bien que sécurisé, le paiement électronique n'en reste pas moins restreint dans sa première phase et certains observateurs se demandent s'il n'aurait pas été plus judicieux de libérer aussi le paiement mobile (m-paiement). Ce dernier constitue le support idéal pour le e-paiement dans un pays où l'utilisation des smartphones/tablettes et de la 3G a explosé en peu de temps. Selon les chiffres officiels, les abonnés de la 3G ont augmenté de plus de 90% au cours des deux dernières années seulement . Une étude du cabinet d'affaires Deloitte indique que 50 millions de consommateurs dans le monde seront adeptes des solutions de paiement mobile en 2016. En Europe, ce moyen de paiement représente près de 30% des paiements en ligne. En Afrique, une filiale de la compagnie Vodafone a fait du Kenya le leader mondial du m-paiement grâce à l'application M-PESA (qui ne nécessite pas de connexion internet) qui permet non seulement de payer ses factures, mais aussi de recevoir, de transférer et d'épargner de l'argent aux habitants des contrées les plus éloignées, dont les seuls attributs sont des téléphones portables basiques. Le concept de cette banque électronique s'est exporté dans d'autres pays de l'Afrique, comme la Tanzanie, le Gabon ou encore l'Egypte, mais aussi en Europe (Roumanie). En Algérie, il faudra encore attendre. Pour l'heure, seule le paiement des factures et le rechargement du crédit téléphonique sont possibles au niveau des opérateurs de téléphonie mobile, en attendant mieux.