Férid Boughedir semble avoir beaucoup résisté à la tentation de réaliser lui aussi un long métrage sur la révolution tunisienne. La plupart des fictions tunisiennes réalisées ces cinq dernières années reviennent sur le soulèvement populaire contre le régime de Zine Al Abidine Benali et de Leila Trabelsi de 2011, presque de la même manière. Dans Zizou ou Parfum de printemps, projeté jeudi soir à l'Opéra du Caire à la faveur de la section «Horizons arabes» au 38e Festival international du film, Férid Boughedir suit le parcours de Abdelaziz ou Zizou, chômeur bac + 2, qui voyage du sud de la Tunisie vers la capitale. La scène du début montre le jeune homme (Zied Ayadi) portant un chapeau de paille et une valise debout dans un endroit désertique. Zizou, l'enfant de l'intérieur tunisien, ne connaît personne à Tunis sauf un oncle qui a fermé boutique. Il est aidé par Adel (Zied Touati), un revendeur d'électroménager, qui lui propose de gagner sa vie du seul métier qu'il maîtrise, l'installation des antennes paraboliques. Zizou apprend à découvrir le quartier de Moncef Bey. Il rencontre Salouha (Fatma Ben Saïdane), qui l'envoie à une maison d'un homme influent à Sid Boussaïd pour arranger la réception satellite. Là, il découvre qu'une jeune fille est captive. Aïcha (Sara Hanachi) a été enlevée par les gardes de l'homme riche qui veut en faire une esclave sexuelle. Zizou rencontre à travers une porte en fer forgé fermée Aïcha qui lui dit qu'elle est prisonnière de «l'ogre». L'ogre est le symbole de ceux qui ont tiré profit du système mis en place par les Trabelsi. Zizou, qui tombe sous le charme de la jeune fille, revient le soir l'observer à partir de la terrasse. Là, Férid Boughedir fait un clin d'œil à son film à succès, Halfaouine, l'enfant des terrasses (1990). L'enfant est adulte, mais les terrasses n'ont pas changé avec les mêmes couleurs, bleu et blanc. Dans le quartier tunisois, Zizou est approché par Sadok, le chef de cellule du marché du RCD, le parti au pouvoir, qui veut le recruter en tant que «rapporteur», puis fait la connaissance d'activistes islamistes, qui lui disent qu'ils sont là pour «aider les pauvres» à travers des actes de charité. Candide, Zizou croit à tout ce qu'on lui dit, s'engage avec tout le monde sans trop réfléchir, découvre un monde dont les codes lui échappent. Il découvre petit à petit que rien ne va plus dans la Tunisie de Ben Ali. Le personnage de Salouha représente ce changement mais d'une manière presque caricaturale. La télévision diffuse les premières images de la révolte de Sidi Bouzid de décembre 2010. Le moment de «libérer» Aïcha est venu. Aïcha qui aurait pu s'appeler Houria ou Tounes. Le cinéaste joue sur la symbolique, veut garder une certaine neutralité en regardant des événements historiques à travers les yeux d'un homme qui ne voulait rien d'autre que de vivre décemment. Férid Boughedir se refuse visiblement à faire un film démonstratif et engagé en adoptant la comédie comme forme d'expression. «L'humour donne une distance par rapport au réel. On rit des choses pour mieux les comprendre», a confié le cinéaste dans une précédente interview. Férid Boughedir n'a pas pu éviter les clichés que lui-même dénonce souvent. Son récit est trop classique. C'est une autre histoire de l'amour en temps de révolution. La trame des événements se laisse deviner facilement, le scénario est mal construit et le contexte historique est celui qu'ont produit les médias en 2011. L'usage des images d'Euronews n'a pas servi le long métrage. Au contraire. Le passage, même bref, de la fiction au documentaire est raté, au pire, brusque, au mieux. Férid Boughedir a voulu péniblement jouer sur l'émotionnel pour offrir un film «grand public», comme c'est devenu la mode dans le cinéma égyptien. Le cinéaste a toutefois réussi à diriger le jeune Zied Ayadi, formé à la bonne école du théâtre, aux côtés du célèbre dramaturge Tewfik Jbali. Grand amateur du cinéma italien, des westerns et de Marlon Brando, Zied Ayadi, qui interprète son premier rôle au cinéma, a su camper le personnage de Zizou, le héros malgré lui. Avec Zizou (le titre Parfum de printemps a été choisi pour la distribution européenne du film pour éviter la confusion avec le joueur de football), Férid Boughedir marque un retour à la réalisation après vingt ans de coupure. Son dernier film, Un été à la Goulette remonte à 1996. Le cinéaste n'a jamais expliqué les raisons de cet arrêt. Férid Boughedir a, pour rappel, décroché le Tanit d'or aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) pour Halfaouine. Ce long métrage a obtenu une douzaine de prix, y compris au Festival du Caire.