Maggie Chang, Zhang Ziyi, Silvia Chang, Zhao Tao, Xu Fan : les grandes actrices chinoises ont envahi les écrans du Caire le temps du 38e Festival international du film (15-25 novembre). Elles jouent dans les quinze productions des studios de Shanghai, Pékin et Hong Kong. Le public égyptien a pris d'assaut les dix salles du festival. Indiscutablement, le cinéma chinois a conquis Le Caire. Ses œuvres puisent dans les temps présents et, abondamment, dans le stock narratif astronomique d'une civilisation ancienne fondée sur l'écriture : romans, nouvelles, mythes, histoire, archives, empereurs et dynasties, épouses et concubines, Grande Muraille et Cité Interdite, Longue Marche et Livre rouge, champ de riz et fleuve jaune, guerre d'opium, guerre civile, guerre sino-japonaise, kung fu et amour fou... Les sujets ne manquent pas. CINETOWN. Black Coal, de Diao Yinan, Ours d'Or à Berlin en 2014, œuvre forte par son propos et son style, est une enquête sur la mort d'un mineur dans une raffinerie de charbon. Héros, magnifique fresque historique de Zhang Yimou, le plus grand cinéaste chinois actuel, raconte les épisodes dramatiques de la vie de Qin, premier empereur de Chine, et les nombreuses tentatives d'assassinat à son encontre. Printemps d'une petite ville de Fei Mu, œuvre classique datant de 1948, fait la chronologie de la vie d'une famille riche et ruinée à la fin de la guerre sino-japonaise. On y voit les ruines considérables laissées par la guerre où des personnages évoquent avec nostalgie le Shanghai d'avant-guerre. Autre film classique : Ma Vie (1950) de Shi Hui, adapté d'une nouvelle de Lao She, est une enquête sur la vie d'un officier de police qui a vécu la chute de la dynastie Qing et l'avènement de la Chine communiste. Au-delà des Montagnes (2015) de Jia Zhangke adopte d'emblée le ton du mélodrame avec le récit des espoirs perdus d'un couple qui rêve de quitter la Chine et d'émigrer en Australie. Téléphone Mobile (2003), de Feng Xiao, présente un homme qui trompe sa femme à travers de nombreuses aventures. Mais celle-ci tombe par hasard sur son téléphone portable... Avec Une vie simple (2001), An Hui, la cinéaste de Hong Kong, dresse le magnifique portrait d'une famille savante sur plusieurs générations. Rares sont les films de Hong Kong sans gangsters et sans crimes... La Montagne de Bouddha (2010) de Li Yu suit les aventures d'une artiste d'opéra célèbre qui décide d'aller à la rencontre d'étudiants marginaux qui s'opposent au «système». Le succès de la rétrospective chinoise sur les rives du Nil, avec ses multiples histoires et aventures, a montré que la Chine est un pays débordant de vie et de mystères. Il manquait juste quelques beaux films de kung fu, du genre Tigre et Dragon, le chef-d'œuvre d'Ang Lee, pour ajouter du sel au programme. UN CINEMA EGYPTIEN SATIRIQUE. Le Festival du Caire est l'aboutissement de mois d'efforts et de travail passionné d'un duo performant composé de Magda Wassef (présidente) et Youssef Chérif Rizkallah (directeur artistique). Ils ont réuni ici plus de 200 films. Ils ont conçu l'hommage au cinéma chinois, la section William Shakespeare des films inspirés de ses œuvres, l'hommage à Mohamed Khan récemment disparu. Un de ses derniers films s'intitule Qabla zahm el saïf (Hors saison) et se passe dans un complexe touristique près d'Alexandrie. Une satire féroce de la classe moyenne égyptienne. Les personnages sont décrits comme des pantins dont le comportement fait preuve d'égoïsme, de frustrations, de malaise profond. Sokr mor (Sucre amer), de Hani Khalifa, est aussi le portrait de cinq couples de la petite bourgeoisie cairote dont l'existence s'avère fade, sans désir et qui passent leur temps à ne parler que de mariage, de religion, d'argent et de sexe dans un ennui profond. Kharej el khedma (Hors d'usage), de Mohamed Kamel, est sûrement destiné au grand public : thriller violent avec drogue, meurtres, chantage-vidéo… A mon avis, le meilleur film, vrai drame à l'égyptienne, digne de Salah Abou Seif, c'est Haram el gasad (Péché de chair) réalisé par Khaled El Hagar. Son héroïne tente d'apaiser les tensions entre elle, son mari, le cousin de son mari qui est son amant et un riche propriétaire de la maison où elle vit. Le film se situe dans le contexte de la révolution du 25 janvier qui a balayé le régime Moubarak, et le réalisateur utilise cette métaphore de l'Egypte sous le choc révolutionnaire pour dénoncer la situation des femmes sans liberté et l'arrogance brutale des hommes riches et sans pitié. DE SHAKESPEARE À SISSOKO. Un drame historique de William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre, se déroule à Alexandrie. On est au premier siècle de l'ère chrétienne. Cléopâtre est la reine d'Egypte et elle rêve de conquérir Rome pour devenir impératrice. Mais Jules César est assassiné. Huit coups de poignard dans son corps par des conjurés. Son plus proche collaborateur, le puissant général Marc Antoine, est accusé par la reine de trahison… Par cette œuvre, Shakespeare, en méditant sur les intrigues du pouvoir, a relié son œuvre à la terre d'Egypte. Et c'est sans doute l'une des raisons de voir au 38e Festival du film du Caire un hommage à Shakespeare, à travers les films inspirés de ses écrits. Deux films égyptiens réalisés par Fatin Abdelawahab et Inès El Degheidi. Et plusieurs autres productions internationales où on retrouve les voix, les passions et les fortes tensions tragiques d'Othello, Hamlet, Le Roi Lear, Lady Macbeth, … Sur les écrans du Caire, ces films shakespeariens ont soulevé bien des passions : Hamlet, de Laurence Olivier, Roméo et Juliette, de Franco Zeferelli, Macbeth de Roman Polanski, Henri V, de Kenneth Branagh… L'autre hommage du festival était rendu au cinéaste malien Cheikh Oumar Sissoko. Avec son allure d'intellectuel, un livre toujours à portée de main, son regard perçant et sa haute stature, l'ancien ministre de la Culture du Mali (2002-2007) était aussi au Caire en qualité de membre du jury. Il a fait une dizaine de films, dont les très remarquables Guimba le Tyran (1995), Prix spécial du jury au festival de Locarno et Etalon de Yennega au Fespaco, le grand prix africain, et La Genèse (1999) pour lequel il a reçu un deuxième Etalon en 2001. De Shakespeare à Sissoko en passant par la Chine, le festival du Caire a déployé ses écrans à travers le temps et l'espace.