Après les clients des banques, ceux d'Algérie Poste (AP) peuvent aujourd'hui se joindre à la dynamique du paiement en ligne lancée au mois d'octobre. AP a mis en œuvre sa propre plate-forme, indépendamment de celle utilisée par le réseau bancaire. Réunis, les deux systèmes doivent permettre de générer des transactions de paiement en ligne pour environ 8 à 9 millions de porteurs de carte, théoriquement. Selon les chiffres disponibles, on estime, en effet, à 1,4 million les détenteurs de cartes CIB, délivrées par les banques, et entre 6 à 7 les porteurs de cartes délivrées par Algérie Poste. Ces dernières, qui étaient déjà en vigueur, seront progressivement remplacées par de nouvelles cartes, aux normes EMV, destinées à permettre non seulement le retrait d'argent et le paiement à travers des TPE (terminaux de paiement électronique), mais aussi et surtout le paiement en ligne des factures d'eau, d'électricité et de téléphone. Algérie Poste devrait commencer à les distribuer à partir de la semaine prochaine. L' entreprise publique entend en distribuer par moins de 5 millions dans une première phase et 10 millions dans une seconde phase à l'échéance du premier semestre 2017, avec l'objectif d'arriver à réaliser 1 million de cartes par mois. La migration totale des anciennes cartes vers les nouvelles devrait intervenir vers juin 2017 Avec 19 millions de comptes CCP gérés en 2015 (chiffre ARPT), Algérie Poste a de la marge, surtout quand on sait que pour l'heure le paiement en ligne ne bénéficie pas de l'interbancarité. En d'autres termes, les détenteurs de la carte d'Algérie Poste ne peuvent pas l'utiliser pour payer sur la plate-forme des banques et vice versa. La ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication, Imane Houda Feraoun, a assuré néanmoins que cette interconnexion «va arriver», sans donner d'échéance précise. Pour l'heure, le paiement électronique lancé en octobre dernier au profit des détenteurs de cartes CIB évolue doucement. Crescendo «Ca monte crescendo», nous a affirmé le président de l'Association des banques et des établissements financiers (ABEF), Boualem Djebbar. Selon lui, «1 million de mots de passe ont été distribués», depuis le début de l'opération. Ces mots de passe servent, rappelons-le, à utiliser la carte CIB pour le paiement en ligne. Une source proche du groupement GIE Monétique, l'organe en charge de la régulation et du développement de la monétique, parle quant à elle de «500 000 à 600 000 mots de passe distribués et entre 60 à 70 transactions par jour». Un responsable de la monétique au sein d'une banque privée évoque pour sa part une forte demande sur les cartes. «Nous avons réalisé en novembre plus que ce nous avons réalisé pendant toute l'année», nous dit-il. Le nombre de cartes distribuées depuis octobre «a été multiplié par dix», précise-t-il encore. Concurrence L'engouement existe donc et pourra s'accélérer avec l'entrée en lice d'Algérie Poste. Quand les banques lançaient leur paiement en ligne, AP n'était pas de la partie. A l'époque, on affirmait que ses cartes n'étaient pas aux normes, et précisément la norme EMV, qui est un gage de sécurité. Aujourd'hui, ses cartes sont aux normes et selon des responsables d'Algérie Poste, l'intégration des deux plates-formes serait en cours. Mais d'ici là, la concurrence risque de faire rage. Algérie Poste compte actuellement 5 fois plus de porteurs de cartes que l'ensemble du réseau bancaire, bien qu'il faille attendre quelques mois pour que les 6 millions de cartes actuelles soient remplacées par celles destinées au paiement en ligne. Le fait qu'Algérie Poste évolue en solo pourrait, au vu de se son potentiel de clients «créer quelques grincements de dents au niveau des banques», estime Younes Grar, expert en TIC et ancien conseiller auprès du ministère des MPTIC. «Avec 6 millions de cartes au départ et 18 millions de porteurs potentiels, si l'opération qu'Algérie Poste vient de lancer est un succès, elle risque de ratisser large et les banques de se retrouver sur la touche», explique-t-il. Et certains banquiers ne manquent pas d'omettre de le souligner. «Le problème, c'est qu'Algérie Poste a un fichier porteur de 6 millions de cartes et a lancé sa propre plate-forme de paiement», commente un responsable de la monétique au sein d'une banque privée. «L'idéal est d'avoir une interbancarité. Force est de constater que pour le moment, ce n'est pas encore le cas.» Le ministre délégué à l'Economie numérique, Mouatassem Boudiaf, avait déclaré quand il était à la tête du groupement GIE Monétique que le but «n'est pas seulement de distribuer des cartes de paiement et d'installer des TPE, mais l'objectif est d'arriver à générer des transactions». Le groupement en question identifie comme l'une de ses missions «la mise en place d'une monétique nationale complètement interbancaire en associant Algérie Poste». Pour le moment, l'interbancarité n'est pas à son maximum. «Quand il y a de l'interbancarité, les réseaux ne peuvent pas se concurrencer. Ce sont les domiciliations bancaires qui se concurrencent», explique une source bancaire. Sur la voie du e-paiement, la poste et les banques ont pris des chemins différents et pour l'heure se présentent plus comme des concurrents que des partenaires. Mais pour certains observateurs, ce n'est pas plus mal. «En monétique, il faut faire du volume pour que les gens s'approprient la carte et l'utilisent quel que soit le lieu». L'essentiel est de dépasser la première phase, qui consiste à «délivrer le maximum de cartes au maximum de citoyens, peu importe la plate-forme». Le problème pour ce banquier n'est pas tant l'absence d'interbancarité pour l'instant, mais le fait que les promoteurs du e-paiement aient sauté une étape importante. «Certes, on réalise le paiement à distance, mais la phase la plus juteuse, ce n'est pas les grands facturiers, c'est le paiement au niveau du commerçant. Or sur cet aspect, on n'a pas fait beaucoup de choses, alors que c'est la phase qui permet de massifier le paiement électronique». Une phase qui ne dépend pas uniquement d'une volonté politique mais également des commerçants et des clients eux-mêmes. Sur près de 3000 TPE installées, à peine 200 génèrent des transactions. La culture du cash, le poids de l'informel, la crainte de la traçabilité, sont autant de facteurs de blocage. Mais pour combien de temps encore ?