Le Festival du théâtre arabe, qui s'est tenu à Oran du 10 au 20 janvier en cours, étant ouvert à plusieurs manifestations annexes (ateliers, tables rondes, réflexions théoriques, recherches universitaires, etc.), les organisateurs ont jugé utile de prévoir un stand pour l'exposition et la vente de livres. Ahmed Madi, président du Syndicat national des éditeurs du livre, était présent vendredi. Il nous livre dans cet entretien les motivations qui ont présidé à la participation de ces professionnels du livre à un tel événement, et, par la même occasion, il nous expose leurs préoccupations. Comment est venue l'idée d'exposer des livres lors de ce festival ? C'est suite à un contact avec Lakhdar Bentorki, directeur de l'ONCI, que nous avons convenu de sortir des vieilles traditions et de monter un stand au TRO réservé au livre. Nous exposons et mettons en vente une trentaine de titres, sur le théâtre bien sûr, mais aussi sur le cinéma et même les romans. En général, derrière une pièce de théâtre ou un film, il y a toujours un livre ou du moins un texte. C'est pour cette raison que nous nous sommes dit qu'il est utile d'accompagner ce festival par une exposition d'un certain nombre d'ouvrages. Il y a des écrits théoriques mais aussi des pièces de théâtre publiées. Nous avons, par exemple, un roman traduit du français vers l'arabe (Vivre au paradis), qui a été monté en film. Nous encourageons les publications sur le théâtre. Il y a beaucoup de pièces qui gagneraient à être publiées pour les mettre à la disposition du public et des metteurs en scène intéressés. Sinon, nous avons des invités de plusieurs pays arabes et nous avons pensé que comme ils ont la possibilité de voir nos pièces sur scène, ils auront également l'occasion de découvrir ce qui se dit sur le théâtre algérien, en particulier, et sur la littérature nationale, en général. Nous avons privilégié les publications en langue arabe parce que le contexte s'y prête. Pour ce stand, nous avons fixé des prix étudiés et qui restent raisonnables, avec des remises de 30%. A propos de prix, profitons de cette occasion pour poser la question dans le cadre des augmentations qui touchent certains produits de consommation pratiqués dès le début de cette année 2017... Il y avait déjà un problème et il va s'aggraver. En tant que syndicat, cela fait une quinzaine d'années que nous disons que le livre doit être exonéré d'impôts et le but est uniquement de promouvoir la lecture en général et le livre local en particulier. Dans le monde entier, pas uniquement en Europe, on ne paye pas d'impôts mais en Algérie on applique toujours une fiscalité sur le livre pour les éditeurs. L'aggravation concerne la hausse de 2% de la TVA. Le livre était déjà cher et son prix va encore augmenter. En conséquence, non seulement le nombre de lecteurs potentiels va diminuer, mais même, et c'est ma crainte, celui des éditeurs aussi. Nous sommes entre 300 et 400 éditeurs et nous risquons de passer à seulement une cinquantaine si la hausse se confirme et si rien n'est fait. Il faut garder à l'esprit que la fabrication du livre nécessite aussi de la matière première, le papier, les plaques d'impression, les films, etc. En résumé, avec les taxes sur le produit fini, les droits de douane, la TVA, nous allons nous retrouver avec 40% d'impôts, dont il faudra s'acquitter. Le CNL (Centre national du livre), institué en 2009, est censé régler le problème du livre en Algérie, mais le vœu est resté pieux. Ma conclusion est que certains ne veulent pas que le peuple se cultive. Avez-vous interpellé officiellement les décideurs ? Nous avons écrit à maintes reprises pour alerter les responsables. Nous avons sollicité le Premier ministre actuel, qui nous a répondu favorablement, mais rien de concret n'a été entrepris ou appliqué dans le sens de nos revendications. J'ai personnellement rencontré le Premier ministre au SILA et je me suis adressé à lui pour évoquer également l'autre problème qui est l'exportation du livre national qui reste malheureusement marginale. Là aussi il y a un problème, à cause d'une ancienne loi qui dit que lorsqu'on exporte, si dans les trois mois l'argent des ventes ne rentre pas en Algérie on ferme le compte. C'est pour cette raison que l'éditeur algérien a du mal à exporter. Nous avons des livres qui proviennent de beaucoup de pays, mais le nôtre reste confiné chez nous malgré une demande réelle. Les autres pays sont contents de participer au SILA parce qu'ils trouvent de réels débouchés pour leur production. Il faut savoir que la facture d'importation de livres s'élève à plus de 60 millions de dollars. Notre avis est que l'importateur paye nettement moins de taxes que nous et cela veut dire qu'on n'encourage pas les éditeurs, alors même qu'ils créent de l'emploi. Moi-même j'ai 150 employés dont l'avenir professionnel dépend de la survie de la maison. Vous participez pourtant aux Salons internationaux et il y a donc potentiellement des débouchés à l'export si le livre algérien est demandé… Je peux dire que le livre algérien jouit d'une très bonne réputation à l'étranger et nos sorties lors des différents Salons le prouvent. Cela suppose une forte demande potentielle, mais malheureusement il y a un blocage. Des éditeurs font sortir de petites quantités, deux ou trois cartons, mais pourquoi passer par l'informel pour faire connaître nos productions à l'étranger ? Donc, en tant que pays, notre participation aux Salons internationaux, comme celui du 27 janvier au Caire (Egypte), reste symbolique. Nous avons pourtant un président qui encourage la culture et les éditeurs et c'est pour cela que moi je dis qu'il y a un sabotage quelque part, car on n'est pas en train d'appliquer le programme du président de la République. Depuis l'arrivée au pouvoir de ce dernier, plus de 10 000 titres ont été publiés. Certains événements ont réellement boosté le monde de l'édition, comme la manifestation Alger capitale de la culture arabe (1200), l'Année de l'Algérie en France (450), le Panaf' (près de 400) ou Tlemcen capitale de la culture islamique (entre 300 et 400 titres). L'autre grand problème concerne les monopoles de l'importation par des particuliers bien installés avec leurs relais à l'étranger. Les étrangers activant dans ce domaine sont les bienvenus, mais pourquoi il n'y a pas de réciprocité ? Une dernière remarque Nous venons de célébrer Yennayer, c'est une occasion pour moi d'évoquer la problématique du livre en langue amazighe. En 2009, lors de notre participation au Salon du livre au Maroc, nous avons appris que plus de 1000 titres étaient publiés, alors que nous n'en sommes qu'à environ 300. Ce n'est pas normal dans un pays où la question de la langue amazighe est prise en charge politiquement (gouvernement et opposition) de manière nettement plus prégnante. Nous ne sommes qu'un syndicat et nous cherchons où se situent les blocages.