Par : K. Merad-Boudia Professeur en cardiologie J'ai constaté durant cet été, comme tout un chacun, une pléthore d'articles dans la presse émanant de confrères exerçant notamment dans la sphère hospitalo-universitaire. Chacun d'entre eux s'est exprimé avec son style et sa verve personnelle, néanmoins tous leurs écrits portaient sur une thématique dont le socle était fondé sur l'activité complémentaire et sur la chefferie de service, des sujets coutumiers qui accentuent plutôt les préoccupations individuelles. Ceci est d'ailleurs une constante et depuis fort longtemps les collègues dissertent sur ces sujets et très peu d'entre eux se penchent sur l'état de la médecine et de l'abîme où se trouvent les hôpitaux, et même quand ils en confèrent ils le font sans s'approfondir outre mesure. Ils ne protestent guère quant à la sinistre situation de l'hôpital Mustapha et ne requièrent pas la construction d'un hôpital vertical pour répondre aux exigences de la gestion actuelle. L'activité complémentaire a été résolue théoriquement ; par contre, il faut évaluer son application sur le terrain. La chefferie de service est devenue leur cheval de bataille, chacun proposant son avis concernant la grille et la composition du jury. Pourtant, ce sujet ne devrait plus être abordé si on optait, comme dans la majorité des facultés de médecine, pour les pôles d'excellence. Dans ce système marqué actuellement par sa large efficience, l'administration est confiée à un chef de département élu par ses pairs, il gère l'ensemble des services constituant le secteur. La durée de fonction est fixée à cinq ans ou plus, au cours de laquelle le chef de département est détaché de son service et le régente comme tous les autres. Dans les pays où sont appliqués ces pôles d'excellence, regroupant plusieurs unités complémentaires comme par exemple : la chirurgie cardiaque, la chirurgie-vasculaire, la cardiologie et l'endocrinologie, les lits sont gérés collectivement, les infirmiers sont disponibles pour toutes les unités avec un responsable qui les régit au mieux pour l'ensemble des unités composantes du département. En France, par exemple, où le mandarinat était oppressant au point d'être partie prenante dans les événements de Mai 1968, une grande mutation a eu lieu. Actuellement, après quelques difficultés d'adaptation, tout est devenu bien huilé. Et personne ne se plaint de ce mode de gestion jugé bénéfique autant sur le plan médical que sur le plan scientifique, tant il est vrai que certaines disciplines jadis étanches collaborent ensemble et mettent en commun leur énergie sur des travaux de recherche. En Algérie, ce mode de gestion est rejeté catégoriquement et lorsque j'ai tenté, au retour d'un voyage du Canada en 1975, où existent ces pôles d'intérêt depuis fort longtemps, de proposer leur application dans notre pays, j'ai été confronté à une violente réticence. Un ministre est allé jusqu'à me déclarer à ce sujet que je suis favorable à ce système étant donné que j'ai bénéficié de ce poste de chef de service durant une longue période. Je lui ai rétorqué que lorsque j'avais fait cette proposition, je n'étais encore que maître-assistant. Depuis ce temps-là, j'essaie de convaincre mais sans succès ; c'est dommage, les bénéfices sont énormes : convergence de spécialités, travail d'équipe, impulsion de la recherche. Quel soulagement pour les autorités de ne plus se préoccuper de l'organisation de la chefferie de service, les confrères n'auront plus à s'occuper de la gestion de service et seront plus disponibles pour les soins et la recherche. Cet aménagement qui a fait ses preuves ailleurs doit être appliqué ici. Un autre sujet critique est l'état de la médecine qui est déplorable ; on continue à fonctionner avec des structures élaborées en 1970, les modules sont les mêmes et les horaires d'enseignement sont identiques. Des modules nouveaux devront être introduits, des volumes horaires aménagés selon l'importance des matières enseignées. Le nombre de médecins à former doit être réduit et orienté vers la spécialisation. Nous avons formé des milliers de médecins, mais pas de spécialistes pouvant se déployer sur l'ensemble du territoire. Une délégation d'universitaires américains visitant la Faculté de médecine fut étonnée du nombre de médecins formés à Alger qui s'élevait à 1500, alors qu'à Washington, leur ville originaire, leur nombre ne dépassait pas les 200. Repartis dans leur pays, nous avons su grâce à des confidences que les médecins visiteurs étaient inquiets pour notre pays. Les diplômes universitaires si utiles pour une pratique efficace des techniques nouvelles n'ont pas vu le jour. Tout ceci atteste que nos institutions sont atteintes d'un conservatisme affligeant et mes 50 ans d'exercice dans le milieu médical me permettent d'affirmer que nous sommes de durs conservateurs : quand on prend une décision aujourd'hui, on peut être sûr qu'elle va perdurer. Ainsi, par exemple, il est arrivé à maintes reprises qu'on rencontre des obstacles comme l'insuffisance du personnel dans un secteur d'enseignement alors qu'il est pléthorique dans un département voisin. Il suffit d'un peu d'imagination et de la bonne volonté pour déplacer l'excédent d'un endroit à un autre comme cela a pu se faire de temps à autre. Actuellement, il y a des services où exercent de nombreux professeurs, on peut les muter dans d'autres secteurs où ils seront plus utiles et cela sans perturber l'ordonnancement. Les choses bougent un peu ces temps-ci, des jumelages entre services sont de plus en plus opérants. Ceci est une bonne chose, mais cela reste insuffisant. Les nouvelles facultés de Biskra et de Béchar manquent cruellement d'enseignants. Pourquoi ne pas solliciter les professeurs, chefs de service promus récemment à la retraite ? Un certain nombre d'entre eux se sont même proposés (gracieusement d'ailleurs) mais sans résultats. Ces derniers, jugés un moment «partiaux» comme il a été sous-entendu auparavant, peuvent encadrer les concours de chefferies de service, ils sont actuellement sans le soupçon de favoritisme. Le Sud souffre d'une carence de médecins, pourquoi ne pas envisager une solution radicale ? Cela consiste à proposer des contrats d'engagement avec le secteur public dès l'entrée universitaire, ces volontaires seront exemptés des frais d'études. Ceux qui refuseront auront à payer leurs cursus, permettant ainsi la réduction des flots de postulants pour cette discipline. Cette léthargie et ce conservatisme qu'on observe en médecine, on peut le constater dans tous les autres domaines de notre société. Nos règles et nos lois sont figées. Dans le tourisme, par exemple, nous délivrons 20 000 visas par an, la France en délivre 200 000. Nos voisins qui ont le même problème de terrorisme accueillent 1000 fois plus de visiteurs que nous. Les formalités, malgré quelques aménagements, restent dubitatives. Des amis enseignants qui ont l'habitude de venir chez nous refusent de s'y rendre, cela devient trop difficile, nous disent-ils. Le problème de visas est aussi important que le manque d'infrastructures pour développer le tourisme. Cette inertie est transmissible, on la retrouve même chez les partis politiques qui, à longueur de journée, ne cessent de harceler le gouvernement (ce qui n'est pas mauvais) et de ne parler que d'élections, mais ils ne révèlent rien sur leurs programmes. Or, nous avons besoin d'être éclairés sur les sujets brûlants de l'actualité comme l'avenir du Maghreb, l'aide que nous devons apporter à la Palestine et ce qu'ils pensent de ce qu'il y a lieu de faire en Syrie et bien d'autres problèmes dont on aimerait qu'ils nous éclairent ! Ils font de la politique politicienne. Et puis, que pensent-ils de l'apport massif de la main-d'œuvre étrangère dans tous les secteurs : le transport, les infrastructures lourdes, le bâtiment… ? Certes, ces partenaires nous aident mais jusqu'à quand ? Alors que le chômage affecte durement notre jeunesse. Je salue chaleureusement l'annonce faite par le ministre des Travaux publics de l'édification des travaux d'autoroute qui ont été confiés aux entreprises nationales ; enfin, il était temps ! Autre secteur qui est mal géré et abandonné aux formateurs étrangers : le football. Comment a-t-on pu réaliser cette prouesse footballistique en 1982 de faire briller l'Algérie dans le Mondial ? Cela n'est-il pas possible actuellement de recourir de nouveau à des footballeurs performants d'ici, d'autant plus que l'on sait que certains d'entre eux sont payés avec des sommes pharamineuses défiant toute décence ? Le compter sur soi est primordial, il dynamise une société et galvanise sa jeunesse. Tous les responsables doivent faire confiance à nos jeunes dans tous les secteurs, en médecine comme ailleurs, il faut y croire et oser. Etant en semi-retraite, je ne sais pas si je suis autorisé à dire ce que je viens de dire, mais qu'importe, il me semble qu'il est de mon devoir de le dire.