La langue amazighe, bien qu'admise au rang de langue nationale par l'article 3 bis de la Constitution et les discours officiels, est, par rapport aux réalités des deux principales plateformes de socialisation — l'école et les médias —, maintenue en rade d'expression et de développement. Objectivement, elle est exclue des moyens matériels et humains en mesure d'ouvrir de fait deux droits fondamentaux : à l'instruction et à l'information dans sa langue maternelle, auxquels les citoyens peuvent prétendre. Les questions à ce sujet ont été trop longtemps refoulées, cantonnées dans des structures ad hoc, ayant reçu comme premier ordre de mission d'endiguer, « calmer », la contestation et les revendications de la société. Deux travers de cette politique autoritaire d'autruche au moins structurent l'évolution de l'espace symbolique : une consolidation des conditions d'émergence de dérives éthnicistes, à l'encontre d'une diversité culturelle stimulante et humaniste ; et une emprise d'un sabir « algérien », mélange indigent façonnant les premiers éléments d'une nouvelle « culture/communication ». Un récent colloque organisé par le Haut Commissariat à l'amazighité (HCA) et l'Université de Béjaïa a permis d'esquisser une approche des réalités. Retour sur le thème avec trois questions-réponses croisées partagées par deux chercheurs du domaine : Mohand Akli Haddadou et Mouloud Lounaouci. Tamazight étant constitutionnellement admise à titre de langue nationale, avec la langue arabe, comment percevez-vous sa place dans les médias ? Mohand Akli Haddadou : Tamazight n'a pas encore la place qui lui revient de droit, en tant que langue dans le paysage audiovisuel algérien. Il faut non seulement, comme les pouvoirs publics l'ont promis, une télévision d'expression amazighe, mais aussi une presse écrite subventionnée par l'Etat pour que les journaux ne soient pas prisonniers d'impératifs économiques. Mouloud Lounaouci : Longtemps, on a fait croire qu'une langue parlée dans la nation était, de fait, langue nationale. Des militants sincères et pas des moindres ont été le relais de ce discours. Je voudrais donc commencer par lever l'équivoque. Une langue est nationale que si les institutions officielles de l'Etat la reconnaissent telle. Tamazight ne bénéficie, donc, de ce statut que depuis la promulgation de l'article 3 bis de la Constitution. Cette langue n'est, toutefois, pas officielle dans la mesure où elle n'est pas celle des institutions. Il faut dire que le type d'Etat (Etat unitaire centralisé) actuellement en place en Algérie, ne permet pas un tel statut. La constitutionnalisation en sa qualité de langue nationale est, toutefois, pour tamazight une réelle avancée dans la mesure où, théoriquement, l'Etat est tenu de mettre tous les moyens matériels, financiers et humains pour promouvoir, développer et diffuser cette langue. C'est bien entendu loin d'être le cas. J'en arrive donc à votre question. La place qu'occupe tamazight dans les médias audiovisuels est pour ainsi dire infime. Cela reste encore du domaine de la symbolique. On peut positiver en disant que ce n'est qu'un début, mais si on ne veut pas s'illusionner il faut se rendre à l'évidence en disant que cette introduction ne rentre que dans une politique d'intégration/récupération. Une stratégie connue et largement mise en œuvre dans nombre de pays fascistes, à l'exemple de l'Espagne de Franco. Pratiquement, à court terme, quelles actions concrètes sont à mener dans ce domaine ? M. A. Haddadou : Les actions sont essentiellement à mener à travers la création d'une chaîne de télévision en tamazight ; le lancement de journaux et du développement de l'édition en cette langue. M. Lounaouci : S'il y a une réelle volonté politique, les choses peuvent aller très vite. La langue amazighe doit pouvoir bénéficier d'un coefficient de réparation historique. L'Etat doit mettre en œuvre pour cela les moyens pour la création, entre autres, d'une télévision d'Etat exclusivement réservée aux productions en langue amazighe. L'ouverture du champ médiatique permettrait aux investisseurs de créer des radios et des télévisions libres. Ces mesures qui ne nécessitent pas de gros moyens garantiraient assurément une implantation et une socialisation rapide de tamazight. Sans compter les effets induits qui consistent à donner du travail à nombre de locuteurs berbérophones. La langue de cœur deviendrait alors une langue de pain, un statut qui lui permettrait enfin une pérennité. Face aux défis de l'imbrication des médias traditionnels dans l'internet, quelle graphie vous semble utile à développer en tamazight ? M. A. Haddadou : La graphie qui s'est imposée dans le domaine des études, de la littérature et de la production écrite en tamazight est le caractère latin. On ne peut que suivre cette tendance de la société qui est, en fait, la seule à décider sur le plan de la graphie de sa langue. Cependant, il ne faut pas exclure les autres systèmes d'écriture. L'avenir décidera de leur maintien ou de leur disparition. M. Lounaouci : Il est clair que de nombreux arguments sont en faveur du latin. Ce dernier est un alphabet complet, contrairement à la transcription arabe qui est consonantique. Les travaux faits sur le monde amazigh le sont, globalement, dans le caractère latin. Nous pouvons multiplier les raisons mais je n'irai pas dans ce type d'argumentaire. Vous me tendez une perche qui me permet de réitérer que le choix du support graphique est avant tout idéologique, et je pense qu'en majorité les Imazighen d'Algérie ont opté définitivement pour la graphie latine. Le volume de la production en ce caractère est là pour le montrer. Je subodore que les gesticulations consistant à remettre en question ce choix, en reproposant l'utilisation du caractère arabe, ne visent qu'à aboutir à un compromis qui se terminerait par un choix en faveur de tifinagh comme cela a été le cas au Maroc. Une autre manière, celle-là insidieuse, donc plus efficace, de ralentir le développement de tamazight.