Plus de quatre ans après l'ouverture du champ audiovisuel, les chaînes de télévision privées sont toujours dans l'illégalité. Pire, le secteur, comme le précisera le président de l'ARAV, est profondément plongé dans l'anarchie. Aucune transparence dans la gestion administrative, financière, économique et encore moins dans la situation fiscale, alors que des mouvements et des transferts d'argent importants sont opérés vers l'extérieur avec l'accord des banques nationales. On aurait dit que le gouvernement s'est lui-même mis dans cette situation inextricable, qui pose avant tout un sérieux problème juridique, d'abord, et de stratégie de communication, ensuite. A ce jour, aucune volonté politique n'a été exprimée de sa part pour mettre les formes (et les conditions objectives) nécessaires et indispensables pour permettre aux nouveaux médias de quitter la zone off-shore et se conformer à la loi algérienne. La question du statut s'avère ainsi fondamentale et primordiale, et tant que celui qui doit régir les télés privées relève du droit étranger, aucun effet positif ni aucun impact sur le fonctionnement de ces dernières ne sera possible. Ces chaînes «ne sont ni algériennes ni légales», assène le président de l'Autorité de régulation, pour souligner notamment la difficulté que rencontre son institution à avoir un droit de regard légal sur des entités qui profitent des opportunités que leur accordent les juridictions extérieures pour élargir leur liberté d'action. De là à lui demander d'avoir une capacité d'intervention pour réguler des agissements intolérables qui relèvent du pénal, cela appartiendrait tout simplement au domaine de l'utopie. Il confirme en tous cas ce que tout le monde sait depuis longtemps. En premier lieu, le gouvernement qui a laissé faire jusqu'au pourrissement de l'espace télévisuel, où les règles les plus élémentaires de déontologie professionnelle sont piétinées dans l'impunité la plus totale. A défaut de concevoir une ouverture du champ audiovisuel capable d'enrichir le paysage télévisuel et de promouvoir une communication apte à élever le niveau culturel de la société, on a ouvert la voie à toute une faune d'opportunistes attirés par l'affairisme et le pouvoir d'influence que pourrait offrir un média grand public. Cette gestion de l'audiovisuel, qui pourrait être interprétée comme une option purement empirique, n'est en fait qu'une résolution du pouvoir, assumée derrière les lignes, pour éviter que le nouvel espace investi par les chaînes de télévision privées prenne trop de liberté à son égard. Si elle n'est pas souvent très apparente, l'allégeance que doivent faire les plus ambitieuses d'entre elles pour arriver au sommet prend différents contours, dont celui de ne jamais s'opposer aux thèses du clan dominant reste le plus déterminant. A ce jeu, certaines chaînes, clamant pourtant haut et fort leur indépendance éditoriale, se sont révélées comme d'excellents élèves ayant appris la leçon et parfaitement disciplinés pour relayer le discours officiel, quitte à faire fi des principes de l'éthique pour faire passer les informations les plus mensongères et les plus diffamantes. Assurées de la couverture administrative et politique de la part d'un gouvernement complice, certaines télés ne se retiennent plus de s'adonner carrément à de l'intox, au sensationnel et font de l'atteinte à la vie privée des gens, leur principal fond de commerce. Une chaîne particulièrement revient souvent dans le débat public de par ses graves dérives professionnelles sans jamais avoir subi la moindre sanction. C'est celle que les téléspectateurs algériens ont fini par démasquer et vis-à-vis de laquelle ils éprouvent désormais dégoût et répulsion. Et c'est celle qui vient encore de faire scandale en se signalant par une humiliante émission (caméra cachée) contre l'une de nos figures littéraires parmi les plus prestigieuses. Cette chaîne récidiviste, qui a déjà, au nom de la liberté d'expression, traîné dans la boue de jeunes filles universitaires, et de nombreuses personnalités politiques ou de la société civile opposées au régime, aurait mérité mille fois qu'on lui retire son autorisation. Mais le pouvoir ferme toujours les yeux sur ses frasques, préférant la conserver sous le coude pour mieux le servir. Personne ne s'étonne du deal qui s'est établi entre les deux parties : au-delà des attaques calculées contre les représentants de l'opposition, les plateaux restent toujours ouverts aux hommes du pouvoir qui veulent délivrer des messages sous le sceau officieux, et la manne publicitaire s'ouvre en contrepartie comme par enchantement. Il n'y a qu'à voir le résultat: A chaque fois que vous allez sur cette chaîne, c'est la pub qui vous accueille. Mais plus dramatiquement, l'histoire sordide de cette télé qui porte un grave préjudice aux professionnels de la télévision, c'est en fin de compte le raccourci le plus fidèle du noble projet de la diversification du champ audiovisuel qui a été parasité volontairement par le pouvoir pour des considérations strictement politiciennes. Sans tomber dans la généralisation facile, on peut dire que le bilan de l'ouverture du champ audiovisuel, qui avait pour objectif de nous confronter à d'autres horizons en nous extirpant du monopole des médias étatiques, est catastrophique. D'abord il n' y a que cinq chaînes qui disposent de la fameuse autorisation donnant accès à une représentation en Algérie, alors que statutairement elles sont illégales, comme toutes les télés privées qui ont envahi le marché. Ensuite, et c'est le plus important, aucune parmi la cinquantaine en activité n'a réussi à conceptualiser une télévision d'un niveau acceptable avec des programmes de qualité. Toutes font dans le bricolage, faute de compétence dans le métier ou sûrement de moyens financiers. Ces chaînes, qui sont réduites souvent à faire dans la facilité ou dans l'approximation la plus élémentaire, n'ont aucun avenir si elles persistent dans cette voie. Bloquées entre l'impossibilité d'algérianiser leur statut et des impératifs financiers énormes, elles ne peuvent s'acquitter avec la meilleure volonté du monde que de sous-produits culturels qui deviennent par trop envahissants dans notre vie quotidienne. Mais la faute incombe en premier au pouvoir politique, qui, à force de manœuvrer pour mieux contrôler, a finalement tout gâché. Pourquoi refuse-t-il de régler le problème du statut des chaînes privées ? Pourquoi bloque-t-il les fréquences par satellites (TDA) les obligeant à aller chercher refuge ailleurs ? Le gouvernement n'a jamais voulu répondre à ces questions, desquelles pourtant pourrait surgir une vision nettement plus réaliste sur l'organisation de l'espace télévisuel, à l'image de celui de nos voisins, qui paraît mieux structuré et plus adapté à son temps. Tebboune s'est engagé à élucider cet imbroglio, on verra bien…