Rencontré en marge du colloque international sur les pôles de compétitivité et les pôles d'excellences, tenu les 3 et 4 décembre derniers à Alger, le PDG de Cevital, Issad Rebrab, revient sur sa vision du développement de ces pôles dans le pays, sans omettre d'évoquer le blocage de ses multiples projets en attente de réalisation. Vous avez suivi avec beaucoup d'attention les différentes interventions. Quel est votre commentaire quant au développement de ces pôles de compétitivité en Algérie ? Nous, nous avons plusieurs pôles industriels. A Béjaïa, nous avons commencé par une unité de raffinage d'huile que nous avons porté à une capacité de 570.000 tonnes par an, et qui fait de cette raffinerie la plus importante d'Europe et d'Afrique. Le pays est passé ainsi du stade d'importateur au stade d'exportateur. Nous avons fait aussi une margarinerie -qui a transformé aussi notre pays en exportateur-, d'une capacité de 180.000 tonnes par an. Idem pour le sucre. D'une raffinerie de 600.000 tonnes par an, nous allons passer, à partir de l'année prochaine, à 1.800.000 tonnes par an, dont 900.000 tonnes destinés à l'exportation, alors que le pays était auparavant importateur. Nous avons installé sur le même site un terminal de déchargement portuaire d'une capacité de 2000 tonnes à l'heure. C'est l'un des plus grands terminaux de déchargement portuaire de la Méditerranée, et c'est ce qui fait la compétitivité de Cevital sur le marché international. Parce que nous savons développer un pôle à côté d'un port. Il est extrêmement important de signaler que pour développer des pôles compétitifs pour le marché international, il faut d'abord s'installer dans des endroits où il y a la logistique. Il faut investir dans des équipements de dernières technologies. Il faut investir à des dimensions pas seulement nationales mais au niveau international. Il faut qu'il y ait un certain niveau de volume. Nous voulons doubler et même quadrupler les volumes de production, en ajoutant une unité de trituration de graines oléagineuses de 3.300.000 tonnes par an, et dont les 70% des tourteaux sont destinés à l'exportation et ce après avoir couvert à 100% des besoins du marché national qui sont totalement importés maintenant. Nous voulons, en parallèle, couvrir les 100% des besoins du marché national au niveau des huiles brutes, qui sont totalement importées actuellement, et dégager plus de 50% à l'exportation. On voulait transformer une partie de ces huiles en biodiesels qui seront totalement destinés à l'exportation. Et transformer une partie des tourteaux qui seront dégagées par la trituration en aliments de bétail, pour alimenter des fermes laitières et l'engraissement animal. Et en parallèle, accompagner des agriculteurs pour semer pour notre compte des graines oléagineuses, en alternance avec les céréales. Parce que aujourd'hui, dans notre secteur agricole, les agriculteurs laissent les terres en jachère, une année sur deux au lieu de les alterner avec des légumineuses. Nous avons un projet de développement de plus de 1, 5 millions d'hectares, qui porte sur une création de plus de 100.000 emplois au niveau du secteur agricole. A Béjaïa, malheureusement, nous subissons le manque d'espace. Nous avons gagné de l'espace sur la mer mais on nous a créés des problèmes. Nous avons réalisé 315 km de colonnes ballastées sous terre. Les pôles industriels ne peuvent être n'importe où. Tout dépend des activités auxquelles ils sont destinés. Quand c'est pour des produits de très grande masse, il faut les faire à côté des ports car c'est là qu'on peut recevoir certaines matières premières pour pouvoir les transformer et les réexporter. Donc, on ne peut être compétitif quand on déplace des marchandises sur des distances très éloignées. Deuxièmement, pour pouvoir être compétitif sur le coût du fret, il faut décharger des bateaux à des capacités de 10.000 à 15.000 tonnes par jour. Et pour pouvoir le faire, il faut avoir des infrastructures portuaires. C'est pour cela, que nous, nous avons des infrastructures, nous avons réalisé des silos de 120.000 tonnes pour les graines oléagineuses, et des silos pour le sucre (roux et blanc). Voila ce qui nous permet à partir de Béjaïa, si on nous laissait terminer nos projets, de pouvoir réaliser plus de 1,5 milliards de dollars à l'exportation, soit réaliser plus que ce qu'exporte tous les opérateurs économique y compris toutes les entreprises publiques hors hydrocarbures. Malheureusement, nous voulons développer notre propre pôle industriel mais nous rencontrons des entraves. Avez-vous d'autres projets de pôles industriels en attente d'autorisation ? Il y a un vieux projet des années 70 pour réaliser un port à l'embouchure de l'Oued des Issers, c'est-à-dire à cap Djinet. En me rendant au ministère des travaux publics pour demander l'autorisation de l'extension du port de Béjaïa, on m'a signalé ce projet. On m'avait dit que l'on est intéressé à réaliser un port de 90 hectares aux Isser pour remplacer le port d'Alger. Je leur ai signifié que la surface voulue ne suffisait plus actuellement, mais plutôt penser à faire 1000 ou 5000 hectares. On m'a dit qu'ils cherchaient une entreprise pour sa réalisation en BOT. J'avais manifesté mon intérêt pour sa réalisation, tout en disant que des ports de 90 hectares ne se font plus actuellement dans le monde, parce que les ports représentent les poumons d'une économie d'un pays. Mais depuis, on ne m'a plus répondu. Je fais par la suite la proposition de réalisation d'un mégapole industriel au niveau de l'embouchure des Issers au gouvernement. J'avais pris attache avec plusieurs sociétés coréennes, européennes (allemandes, danoises, françaises…). J'ai pris attache avec une entreprise américaine, avec des fonds d'investissements du Moyen-Orient. Tout le monde avait répondu présent, pour réaliser six complexes pétrochimiques, un complexe sidérurgique, un chantier naval (construction de bateaux), construction automobile, faire une ville nouvelle et faire aussi une autre zone industrielle pour d'autres activités. C'est un projet de près de 10 milliards de dollars d'investissements, qui allait créer 100.000 emplois directs et qui pouvait générer plus d'un million d'emplois indirects. En plus de la réalisation du port, nous avons prévu des quais pour le dispatching des containers. Aujourd'hui, tous les grands porteurs de containers sont déchargés d'abord dans certains pays européens, avant de les ramener par de petits bateaux, alors qu'on aurait pu avoir un port de dispatching chez nous, ou les grands porteurs de containers, de l'extrême Orient, d'Asie ou des Amériques, viendront déverser leurs containers à cet endroit, et les dispatcher ensuite au niveau des pays européens, maghrébins, africains, ou algériens. Vous savez qu'un container transporté entre Anvers, Rotterdam, jusqu'à Hong Kong est transporté à 500 dollars. De Marseille à Alger, il est transporté à 1000 dollars. Tout cela, parce que nous n'avons pas un grand port bien aménagé. J'ai écouté le ministre des transports dire que si un container chez nous coûte 1000 dollars, en Tunisie, il revient à 500 dollars et 390 dollars dans des pays développés ! J'ai donc proposé de réaliser ce mégapole portuaire et industriel au gouvernement. Au début, le ministre chargé du dossier était enchanté, mais après lui avoir présenté une étude de projet et ma demande, il m'a signifié, trois mois plus tard, que c'est à l'Etat de le réaliser. C'est vous dire, même si je suis admiratif devant l'exposé du ministre de l'environnement Cherif Rahmani quant aux propositions de création de pôles de développement industriel, il n'en demeure pas moins que lorsque vous proposez de réaliser ces pôles, on vous dit non. C'est le grand problème. Il y a un décalage entre le discours et la réalité. Est-ce que des considérations politiques prennent encore le pas sur l'économique ? En écoutant tous les intervenants français, tous ont signifié qu'il faut décentraliser la décision. Il faut laisser les régions créer leurs propres pôles et attirer les investisseurs. En d'autres termes, libérer les initiatives. Si on attend des décisions politiques, cela ne se fera jamais. Toute décision d'investissement ou de privatisation nécessite une réunion du conseil du gouvernement. C'est du jamais vu dans aucun pays au monde ! Il faut revoir complètement l'organisation et les lois. Et chacun interprète la loi à sa convenance. Et tout le monde reporte la décision jusqu'au président de la république. Et le président ne peut tout faire. Donc, le problème est politique, administratif, mental, et je ne sais quoi d'autres encore. Sans parler, bien entendu, de l'absence de terrains, ou de leur extrême cherté pour la création de ces pôles, alors qu'il y a tellement de possibilités de développement de beaucoup de pôles industriels et même agricoles en Algérie.