En Algérie, la part des dépenses publiques affectées à la santé n'a jamais atteint les 10% du budget de l'Etat. Celle-ci est de 13% en Jordanie, 14% en Tunisie, 17,5% en Iran et 18% à Cuba. Tous les Algériens ont été choqués par les images montrant la répression policière des médecins résidents qui voulaient marcher pacifiquement pour exprimer un ras- le-bol et attirer l'attention sur leurs conditions socioprofessionnelles. Cette répression s'inscrit dans la logique et la suite que les autorités réservent à toute contestation sociale ou politique. La multiplication de ces contestations/répressions renseigne sur le fossé qui se creuse entre la société et le gouvernement. Les enseignants, les médecins, les paramédicaux, les commerçants expriment, on ne peut mieux, le sentiment de cette classe moyenne agressée dans son pouvoir d'achat et malmenée dans son bien- être. Les classes laborieuses n'ont plus l'exclusivité de l'exclusion. Ceci interpelle tout Algérien rêvant d'un monde meilleur et jaloux de sa patrie. Nous ne devons pas perdre de vue que les complots ourdis contre les pays de la région ces dernières années n'ont été rendus possibles que par la grâce de la paupérisation de leurs classes moyennes, jadis garantes de la stabilité de ces différentes sociétés. Consacrer les libertés individuelles et collectives Le droit de s'organiser et de s'exprimer individuellement et collectivement de façon pacifique doit être consacré une bonne fois pour toutes. Pouvoir revendiquer, se rassembler, marcher et manifester pacifiquement, sans être tabassé ni embarqué, est un droit fondamental qui doit être respecté, tout comme doit être respectée la dignité de tout salarié, fonctionnaire ou citoyen tout court. Les médecins résidents ont, aujourd'hui, un immense privilège et l'honneur de porter cette aspiration à une vie meilleure et digne en Algérie, et sur ce point il faut les soutenir indiscutablement et sans réserve. Les médecins doivent protéger leur mouvement de toute dérive Il appartient aussi à ces médecins de ne pas dilapider le capital sympathie et le soutien qu'ils ont fait naître chez des millions d'Algériens. Leurs revendications doivent être explicites, transparentes et clairement exprimées. Elles doivent s'éloigner des revendications égoïstes et irréalistes, dont la suppression du service civil, ou du service militaire qui demeure une nécessité et un devoir. Exiger un emploi, des conditions de travail idoines, une rémunération en rapport avec le diplôme et les services rendus à la société est d'une légitimité indiscutable. Le gouvernement doit impulser un dialogue réel et fécond afin de favoriser des solutions consensuelles pour les satisfaire. Le service civil n'a pas été et ne peut être un échec. C'est le système de santé, dans son ensemble, qui n'est pas suffisamment efficient à cause de l'absence de visibilité des gouvernants, du manque de ressources affectées à la santé et du poids des lobbys. Lutter contre les discriminations et les inégalités géographiques et sociales demeure une nécessité et une obligation pour le gouvernement et la société afin d'assurer une couverture sanitaire à tous les Algériens et en premier lieu à ceux des régions du Sud et des Hauts-Plateaux. Il ne faut pas perdre de vue que la moitié des médecins spécialistes opèrent dans le privé et sont dans leur quasi- majorité installés dans les villes du littoral, provoquant ainsi des inégalités économiques et géographiques catastrophiques. Préserver l'équité en matière d'accès aux soins L'équité en matière d'accès aux soins n'est plus de mise en Algérie à cause des discriminations financières, mais aussi géographiques. Aujourd'hui, le risque de décéder avant d'atteindre l'âge d'un an pour un enfant vivant au Sud (32 pour 1000) est deux fois supérieur à celui d'un enfant vivant au Nord (14 pour 1000) ou de décéder avant l'âge de cinq ans (35 pour 1000 au Sud contre 16 pour 1000 au Nord). Les mêmes inégalités sont observées en ce qui concerne la protection maternelle. Voilà pourquoi le service civil est une nécessité. Par contre, il est légitime que les médecins résidents demandent que les conditions d'accueil, de vie et de travail en rapport avec le service civil soient réunies et une rémunération compensatoire et motivante assurée. C'est possible et réalisable si l'Etat mobilise les moyens qu'il faut. La part des dépenses publiques affectées à la santé n'a jamais atteint les 10% du budget de l'Etat en Algérie. A titre de comparaison, celle-ci est de 13% en Jordanie, 14% en Tunisie, 17,5% en Iran et 18% à Cuba. A ce sujet, il n'y a qu'à se poser la question : pourquoi la majorité des Algériens accepteraient volontiers de travailler au Sud, à Sonatrach ou dans les entreprises étrangères ? L'iniquité et le danger de l'activité complémentaire Pour ce qui est de l'activité complémentaire que certains voudraient, par opportunisme, adosser au mouvement légitime des médecins résidents, il y a lieu de rappeler que cette activité a eu des résultats catastrophiques sur le fonctionnement de nos hôpitaux : détournement des malades, des médecins, du matériel et même des médicaments. A cause de ce comportement, nos hôpitaux ont connu un ralentissement de leur activité et même une paralysie les après-midi. Le rapport 2003 sur «La santé des Algériennes et des Algériens», élaboré par le ministère de la Santé, indique, à ce sujet, que «depuis la mise en application des textes concernant le temps complémentaire, les activités des établissements sont considérablement réduites à partir de 12h». L'activité complémentaire dans les cliniques privées a été un point noir dans le système de santé. Son déplacement vers les établissements publics de santé ne fera qu'aggraver les dysfonctionnements de ces derniers. Soumis à la marchandisation, nos hôpitaux deviendront une source supplémentaire d'inégalités socioprofessionnelles pour les professionnels de la santé et une source d'inégalité et d'iniquité en matière d'accès aux soins pour les malades. Aussi, cette activité, sous toutes ses formes, doit être bannie à jamais.