Les réactions des pays arabes à la suite de l'exécution par pendaison de l'ancien président irakien, Saddam Hussein, contrastent singulièrement avec les sentiments de colère et de franche dénonciation que le sort réservé à Saddam Hussein a laissé au sein des opinions arabes. Encore une fois, dans cette nouvelle épreuve qui interpelle les consciences arabes, le divorce est total entre les positions arabes officielles et celles des peuples arabes. Aux silences embarrassés et combien confortables derrière lesquels se réfugiaient auparavant les dirigeants arabes lorsqu'il s'agissait de prendre position face à un événement qui touche la nation arabe, on n'hésite plus aujourd'hui à afficher ses positions même si, comme c'est généralement le cas dans la majorité des capitales arabes, les déclarations et les engagements officiels ne cadrent pas avec les coups de sang de la vox populi. Ainsi donc, dans cette nouvelle épreuve ressentie comme une humiliation — une de plus — par les masses arabes, les dirigeants arabes les plus « éclairés » et les plus soucieux de ménager les sensibilités de leurs opinions publiques n'ont retenu de la sentence infligée à Saddam que son côté sacrilège ; la programmation de son exécution le jour de l'Aïd El Adha. Décodé, le message des gouvernements arabes laisse clairement suggérer que, mise à part cette fausse note qui touche les sentiments religieux des musulmans, les dirigeants arabes, à quelques rares exceptions près — la Libye et le Soudan qui ont ouvertement dénoncé l'assassinat de Saddam Hussein — ne trouvent rien qui ne soit pas conforme au droit et à la légalité internationale. Oubliées l'occupation de l'Irak, la confiscation de la souveraineté nationale du pays et la tragédie que vit au quotidien le peuple irakien du fait précisément de la violation du droit international dans ce pays ! Oubliées également les conditions contestables en tous points de vue dans lesquelles le procès de Saddam a eu lieu et son mode d'exécution — la pendaison — inspiré d'un autre âge ; une sentence qui fait peu cas du respect de la dignité et de l'intégrité physique de la personne humaine, pourtant supposée être une valeur partagée dans les pays qui s'érigent en gardiens du temple de la démocratie et des droits de l'homme. Même si la manière avec laquelle Saddam a été exécuté a choqué les capitales occidentales du fait de leur hostilité à la peine de mort, les dirigeants occidentaux n'ont formulé aucun commentaire sur le fond du dossier irakien et particulièrement sur les irrégularités dont le procès de Saddam fut entaché de bout en bout. A la limite, pourrait-on dire, ces pays sont dans leur rôle et leur attitude est on ne peut conforme à leurs intérêts. Les dirigeants arabes ne font pas mieux. Au lieu d'une position claire et courageusement assumée, on se répand dans une littérature toute arabe où l'on évite prudemment de mettre le doigt sur la plaie pour ne pas nommer les choses par leurs noms et déplaire aux Américains. La real politik qui est un mode de gouvernance tout à fait respectable ayant donné ses preuves dans les systèmes politiques qui l'ont adoptée ne signifie pas pour autant que l'on n'est pas fondé à avoir des positions et des principes qui ne doivent faire l'objet d'aucun marchandage de quelque nature qu'il soit. Le président Bouteflika avait abordé cette question dans son dernier discours devant les cadres de la Nation. Il avait affirmé que l'Algérie n'a pas vocation et ne sera pas la conscience du monde et qu'à l'avenir, priorité sera donnée aux questions de développement national tout en réaffirmant, par ailleurs, les positions constantes de l'Algérie en faveur de la justice, de la légalité et de la paix dans le monde. Le moins que l'on puisse dire à la lecture du communiqué du gouvernement algérien à la suite de l'exécution de Saddam Hussein qui constitue le premier test permettant de se faire une idée des nouveaux choix stratégiques de notre politique étrangère découlant des dernières orientations du chef de l'Etat est qu'il y a lieu de relever un changement notable dans notre appréciation des questions internationales. Les observateurs politiques auront remarqué l'extrême prudence avec laquelle le communiqué est rédigé, mais surtout le souci de l'Algérie de ne pas se mouiller et d'adopter une position de (fausse) neutralité par rapport à ce dossier. D'aucuns n'hésitent pas à parler carrément de reniement par l'Algérie de principes et de valeurs universelles qui ont fait la notoriété de notre pays sur la scène internationale. Il faut, en effet, véritablement savoir lire entre les lignes pour saisir la teneur du communiqué. Certaines appréciations du communiqué relèvent d'un maladroit parti pris. Le communiqué relève que la « culpabilité (de Saddam) a été établie par un jugement des hommes », évitant de faire le moindre commentaire sur la fiabilité et la crédibilité du procès de Saddam sinon de noter que ce dernier s'est déroulé « dans un contexte faisant l'objet d'appréciations antagonistes et de positions polarisées ». Comprenne qui pourra ! Le soin est laissé « à l'histoire » et « au jugement de Dieu » pour « l'évaluation de cet événement, des actions de l'ancien chef de l'Etat irakien et de sa vie ».