Le directeur régional de la BEA a porté plainte en réaction au refus de la banque dirigée par Ahmed Kharroubi et son fils Mohamed Ali d'honorer son engagement et payer un lot de traites qu'elle avait avalisées auparavant. Avant d'être interrogé par le juge, l'expert a parlé de « cercle vicieux » en référence aux traites avalisées qui étaient escomptées à la BEA, mais qui revenaient aux clients de la BCIA. Il a également évoqué le préjudice subi en rapport avec l'émission de chèques de banque certifiés, mais sans constitution de la provision suffisante. Plus tard, en réponse à des questions posées y compris par les avocats de la défense, il donnera des détails de manière concrète. Son travail l'a mené à examiner les relevés des comptes des clients autant à la BCIA ou à la BEA (Yougoslavie et Sig), à faire des recoupements pour aboutir à des conclusions. Des opérations importantes ayant abouti à un préjudice évalué à titre indicatif à près de 1000 milliards de centimes rien que pour les traites. Pour commencer, il atteste que « la traite, même si elle arrive deux mois après, doit être payée ». Il rappelle pour cela qu'auparavant le courrier postal mettait deux mois pour arriver au destinataire. Pour lui aussi, le rejet n'est pas fondé. Mieux encore, il affirme que « même si la BCIA ne disposait pas de provision au moment des faits pour honorer sa signature, elle pouvait faire appel au marché monétaire ». Voulant plus de précisions, le juge lui demande si concrètement la BCIA disposait ou pas de fonds nécessaires à cela. « Les avals et ceux des clients ne lui permettaient pas de payer », répond-il en enchaînant sur le fait que « les clients ne remplissaient pas les conditions pour accéder à ce type de crédits faramineux ». Pour lui, le quotient solidaire et l'assurance à Star Hana qui est une filiale de la BCIA ne constituent pas des garanties. « Quel quotient solidaire peut-on attribuer à un client qui habite un appartement dans une cité HLM pour justifier un crédit de 160 ou 300 millions de dinars ? », s'interroge-t-il. « En aucun cas on ne peut trouver un chiffre rond sur une traite », relève-t-il également en attribuant cet aspect à une volonté délibérée de frauder. Dans sa forme, le document qu'on peut trouver chez le libraire doit comporter certaines mentions, mais le plus important pour lui est que la traite doit obligatoirement être accompagnée d'un justificatif de l'effet de commerce. Pour les cas litigieux, il considérera que le papier n'est pas de bonne qualité commerciale. Au sujet des chèques de banque certifiés et des soldes débiteurs, il s'étonnera que certains clients bénéficiaires ne s'inquiètent même pas de leurs comptes, alors que des milliards s'y inscrivent. Dans cette logique, le juge lui demande d'éclaircir le point relatif aux clients qui encaissent 10 millions de centimes. « Pour certains clients, les traites avalisées, quand elles sont escomptées, sont revenues sous forme de chèques, mais ils n'avaient pas de chéquiers et on remarque qu'ils signent un chèque de caisse pour percevoir ces 10 millions de centimes », explique-t-il en montrant que certains clients n'avaient pas le droit de consulter leur compte et que ces chèques de caisse sont remplis sciemment à l'avance. Des clients accusés dans cette affaire ont eux-mêmes déclaré avoir été dupés et, une fois leur compte ouvert à la BCIA, ils ont déclaré ne jamais être revenus. L'escompte des traites signées par ce type de clients revient, selon lui, sous forme de virements aux clients BCIA de Sotrapla, Ouala et Fouatih. L'expert remarque également, toujours à ce sujet, que l'engagement aval doit impérativement être inscrit, mais que la BCIA ne l'a pas fait. Le juge lui demande également d'expliquer les sommes que Mohamed Ali Kharroubi prenait régulièrement. Il revient ainsi sur le « cercle vicieux » du mouvement des traites cité plus haut et considère que le fruit de l'escompte est utilisé sous deux formes : « Une partie va vers les clients de la BCIA et une autre vers les responsables de celle-ci. » Il précise que comptablement le solde est bon mais, pour aller plus loin afin de déterminer la destination de l'argent, « on a demandé des pièces, mais on ne les a pas reçues ». Cet aspect démontre l'importance qu'il y a à auditionner les responsables de la BCIA. « Le problème, c'est que la BCIA est dissoute et on ne sait pas où sont allées ces sommes », devait-il également répondre ultérieurement à la partie civile. Au sujet des traites qui couvrent d'autres, l'expert parle d'« effet boule de neige » jusqu'à arriver à un montant faramineux. Quant aux hypothèques dont il est question ici mais, en plus, pour une minorité des clients, elles sont jugées insignifiantes. Là, l'expert revient au cas de la BEA et celui de Sotrapla qui dispose d'une ligne d'escompte arrêtée à un maximum de 800 millions de dinars, mais qui a été dépassée jusqu'à 16 fois. Il cite le cas d'une journée de décembre où cette banque publique a escompté pour près de 2,5 milliards de dinars, soit 3 fois le montant autorisé. « Un directeur d'agence peut solliciter la direction générale pour un cas exceptionnel, il peut défendre un client, mais il doit attendre la réponse avant d'agir », déplore l'expert. Pour le cas de l'agence de Sig et l'implication d'Union Bank, il considère que les chèques certifiés frauduleusement dont a bénéficié Selmane Abderrahmane et les comptes qu'il gère par procuration ont servi frauduleusement à financer une opération d'importation de la société Sahel. « LES AVALS VIENNENT TOUS DE LA BCIA » A maintes reprises, Djaâfri Mokhtar était appelé à donner des explications théoriques sur les opérations bancaires. « Comme l'aval est un crédit à l'émission de la traite, l'escompte est un crédit au payement », devait-il expliquer, mais c'était surtout pour signifier que l'escompte (qui concerne la BEA) est aussi un crédit qui exige des garanties. Parlant des gestionnaires des deux agences BEA incriminées, il atteste : « Je dois m'inquiéter du fait que tous les avals viennent d'une même banque : la BCIA. » Cette dernière banque dans laquelle il n'a trouvé ni dossier ni contrat d'assurance en bonne et due forme. Pour lui, cela concerne notamment Adda Larbi, directeur de l'agence Yougoslavie. « On a fait preuve de mauvaise foi en ramenant l'encourt à hauteur de l'autorisation d'escompte (800 millions de dinars pour Sotrapla) en ne comptabilisant pas le reste de l'escompte », précise-t-il. Il considère catégorique que les escomptes doivent impérativement être comptabilisées. « Si le client Sotrapla mérite de dépasser sa ligne, alors on comptabilise et on argumente. Ainsi, même en cas d'inspection, on est couvert, à la limite on sera blâmé, mais peut-être aussi récompensé si les supérieurs se rendent compte qu'on est dans le vrai. » Pour le cas Bouanab et les bons de caisse de 600 millions de dinars ainsi que celui de Sahraoui (950 millions de dinars), l'expert s'est exclamé : « C'est du jamais vu ! » Le cheminement des bons de caisse émis par la BCIA avec un certain taux d'intérêt qui vont être présentés à la BEA (sachant que la relation est nouvelle avec ces deux clients) avec un autre taux et le fruit qui revient à la BCIA avec une compensation par une traite lui a paru plus que suspicieux. Une manière de dire que les bons de caisse sont émis sans provision. Il dira presque la même chose plus tard pour le cas Selmane Abderrahmane et ses chèques de Sig qui, pour lui, pourraient être négociés dans un café, au même titre que la « supposée » traite qui les compense, car non comptabilisés. « Toute opération doit être comptabilisée, sauf si cela se fait dans un café et on a affaire à des traites volantes et des chèques volants », estime-t-il. Poursuivant au cas par cas à la demande du procureur de la République, l'expert démonte les arguments de Bengrâa Belkacem en considérant d'abord qu'il ne peut être tireur et tiré. Selon lui, ce client a, en premier lieu, présenté un chèque de 23,5 millions de dinars qui sera rejeté par la BEA, puis il va à la BCIA et le représente, mais là aussi il ressort impayé. C'est la présentation d'une traite de même valeur qui va attirer son attention. « Tireur tiré, ça peut exister, mais cela doit être exceptionnel et surtout correspondre à une marchandise réelle », soutient-il avant de considérer que, pour lui, il n'y a aucune preuve de transaction commerciale et qu'il s'agit d'un « tirage de complaisance ». « Je ne fais pas cela pour créer de la monnaie », dira-t-il. Ce qui suppose que sa conviction va dans ce sens-là. Ce qui a également retenu l'attention de l'expert, ce sont les mentions ligne d'aval sur les billets à ordre présentés comme des garanties à Ouala, de la société Codipalor, qui a bénéficié d'un crédit de 20 milliards de centimes. Pour lui, même une hypothèque doit être accompagnée d'un rapport d'expert qui détermine la valeur exacte et que celle-ci doit être supérieure au montant du crédit accordé. Ce qui l'amène à dire qu'un banquier a le droit de refuser d'escompter, le préjudice pour les traites étant de 1000 milliards de centimes. Pour le cas Fouatih qui n'avait pas d'autorisation, il expliquera que les bons de caisse sont une avance sur titre, pas une avance sur traite et que l'escompte se fait à hauteur de 80%, selon la réglementation bancaire. Les avocats de la défense se sont succédé pour tenter, chacun en fonction de son mandant, de démonter le contenu de l'expertise, mais, fait remarquable à plusieurs reprises, le manque de maîtrise des concepts économiques ajoute à la confusion. « Est-il expert ou fait-il de l'audit », s'est interrogé un avocat. « Je suis de formation auditeur », répond l'expert à qui on a reproché d'avoir utilisé les termes gestionnaire indélicat et de mauvaise foi au sujet de Adda Larbi. Il s'est défendu en disant que les dépassements enregistrés sont volontaires en faisant exprès de réduire l'encourt à hauteur des autorisations et de cacher les véritables montants des crédits, ce qui constitue une entorse aux règles. Aussi, dit-il, supposons que cela s'est fait à son insu, à la fin du mois, avec la présentation des documents comptables, il doit découvrir tout manquement. Son avocat veut faire partager la responsabilité avec ses subalternes, comme avec l'agence de Sig, mais là, les subalternes ont apposé leurs signatures. Il rappelle les faits « basiques » qui font qu'on ne peut pas signer un chèque sans constitution de provision au préalable. A l'avocat de Sotrapla, il a affirmé que si Addou Samir pouvait payer les dettes faramineuses enregistrées sur lui, il l'aurait fait et ne serait pas là. A un autre avocat, il expliquera surtout, fait inédit jusque-là dans ce procès, qu'« une traite avalisée doit impérativement être accompagnée d'une facture qui doit être présentée à l'escompte ». Cette irrégularité constatée dans tous les cas litigieux qu'on a essayé de compenser avec une facture proforma n'a pas convaincu l'expert, qui rappelle que cette dernière peut être établie par plusieurs fournisseurs et qu'elle n'engage aucune partie. « Une traite non accompagnée de facture n'est pas un effet de commerce », soutient-il. Il va plus loin en répondant à un avocat : « On n'achète pas sur commande avec une traite ! » Au sujet de Merabti et 33 chèques non comptabilisés, fruit d'escompte de traite dite avalisée, et les virements ordonnés sur le compte de Selmane et Reffas, il a expliqué, après un rude débat avec l'avocat concernant les dates, que ce client a pris les chèques et a ordonné des virements qui ont été effectués avec la valeur de l'escompte. Pour lui, cela suppose que les chèques deviennent sans provision, car non comptabilisés. Le même avocat a alors tempéré en disant : « Qu'est-ce qui est illégal, les ordres de virement ou les chèques ? » Au moment de la pause, un avocat de la partie civile, qui a tenté de discuter avec l'expert, a créé un petit incident.