Chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques, Ali Laïdi a travaillé pour plusieurs médias (Le Figaro, TF1, Le Nouvel Observateur…) où il a couvert les questions relatives au terrorisme islamiste. Vous avez récemment déclaré que les attentats de Casablanca et d'Alger n'étaient pas suffisants pour parler d'implantation d'Al Qaïda au Maghreb et qu'il fallait d'autres événements de ce genre pour en avoir la preuve. Le nouvel attentat de Casablanca, samedi matin, en est-il une ? Affirmer que ces attentats constituent l'acte de naissance d'Al Qaïda Maghreb serait prématuré. Cette conclusion ne tiendrait pas compte des dissensions au sein du GSPC : d'un côté, les partisans de Hassan Hattab, qui a accepté de rendre les armes, et de l'autre les partisans d'Ayman Al Zaouahri (numéro 2 d'Al Qaïda) appelant les islamistes algériens à faire allégeance à Al Qaïda. Il ne faut pas voir les mouvements terroristes comme des blocs monolithiques : ils connaissent tous sans exception les mêmes débats. Alors que Staline défendait la consolidation de la révolution à l'intérieur de la Russie, Trotsky voulait l'exporter. La division est la même aujourd'hui chez les islamistes : faut-il faire tomber le tyran à l'intérieur du pays ou faut-il frapper la tête, c'est-à-dire l'Occident ? Pourtant, Al Qaïda aurait installé des bases mobiles dans le Sahel. Ses intentions semblent claires : si ce n'est pas pour exporter le djihad dans la région, c'est pour quoi faire ? Le discours d'Ayman Al Zaouahri est clair sur son intention de s'implanter en Afrique du Nord. Mais de là à imaginer que de ses montagnes afghanes, tout puissant, il va appuyer sur un bouton pour décider des actions au Maghreb, c'est exagéré. Les décisions vont se prendre encore sur le terrain. Et là, tous les islamistes ne sont pas d'accord sur la stratégie à mener. Vous avez également évoqué « l'internationalisation du GSPC ». Mais est-ce qu'il ne serait pas plus juste de parler de dissolution dans Al Qaïda ? Je parle d'internationalisation dans la stratégie qu'a choisie le mouvement. Cette stratégie peut prendre deux formes. Soit des frappes sur les étrangers – essentiellement des entreprises – dans le pays, comme cela a été le cas cet hiver en Algérie. Soit des frappes à l'étranger. Et là, les services de renseignements ne sont pas certains que le GSPC soit en mesure de le faire. Donc même si Al Qaïda se développe au Maghreb, la menace sur l'Europe est minime ? La plus grande menace vient des terroristes comme ceux qui ont frappé Casablanca : des jeunes paumés, amateurs, le pire cauchemar pour les services de renseignements, car on ne peut pas les détecter. Les réseaux maghrébins organisés, eux, sont extrêmement surveillés par les renseignements occidentaux. Ils peuvent toujours passer à travers les mailles du filet, mais des frappes d'envergure en Europe sont extrêmement difficiles : elles demandent une organisation logistique d'un tout autre niveau. Partons du principe que l'Europe est le principal contradicteur de la politique internationale des Américains. Est-ce que ces derniers pourraient se servir de la menace Al Qaïda au Maghreb pour faire pression sur les pays européens ? Je ne pense pas. La France, par exemple, a été le pays le plus touché par le terrorisme dans les années 1970 via la problématique palestinienne, dans les années 1980 via la problématique iranienne et dans les années 1990 via la problématique algérienne. Donc, en quoi les Français seraient-ils plus réceptifs à un argument de type : Al-Qaïda est à vos portes, rangez-vous à nos côtés dans notre lutte antiterroriste ? On pourrait dire la même chose pour l'Espagne.