A tous ceux qui voyaient un quelconque changement dans la nature du régime, les résultats des élections générales en Tunisie viennent de leur faire un véritable pied de nez. Zine El Abidine Ben Ali a été, encore une fois, « réélu ». Les états-Unis ont d'ailleurs estimé que la Tunisie n'avait « pas utilisé tout son potentiel » en matière d'ouverture politique. « Nous allons continuer de faire pression pour des réformes politiques et pour le respect des droits de l'homme », a déclaré le porte-parole adjoint du département d'état. C'est donc sans surprise que le Président tunisien a été réélu, dimanche dernier, avec 94,48% des suffrages. A ses trois « concurrents », M. Ben Ali n'a laissé que des miettes en partage : Mohamed Bouchiha du Parti de l'unité populaire (PUP) et Mounir Béji du Parti social libéral (PSL) ont obtenu respectivement 3,78% et O,79% de voix. Faisant partie de l'opposition dite de « décor », pour donner une caution pluraliste au scrutin, ces derniers n'ont rien trouvé à redire à propos des scores qui leur ont été attribués. Mieux, Mohamed Bouchiha a même affirmé : « Notre score à la présidentielle dénote que nous avons une place importante dans le paysage politique qui nous a permis de briser le tabou des 99% enregistrés lors des scrutins présidentiels précédents », tout en se réjouissant d'être le premier candidat de l'opposition à franchir la barre de 1% depuis la première présidentielle pluraliste de l'histoire de la Tunisie en 1999. Bien gratifié, le parti de M. Bouchiha a toutefois gagné 4 sièges au Parlement. Avec 11 députés, le PUP devient ainsi la deuxième formation de l'opposition parlementaire après le Mouvement des démocrates socialistes (MDS) qui a obtenu 14 sièges (contre 13 auparavant). Avec beaucoup d'ironie et de gravité, le troisième challenger de Ben Ali, Mohamed Ali Halouani, du mouvement Ettajdid, a qualifié les chiffres d'« insulte à l'intelligence des Tunisiens ». N'étant pas un candidat alibi, M. Halouani s'attendait, quant à lui, à obtenir 0,95% de votes favorables. Le secrétaire général d'Ettajdid n'avait d'ailleurs pas d'autre ambition que de briser l'image d'un pluralisme de façade. Etait-il vraiment nécessaire quand on sait que son manifeste électoral a été bloqué avant sa sortie d'imprimerie ? Victime d'une censure similaire, le secrétaire général du Parti démocratique progressiste (PDP), Ahmed Nejib Chebbi, avait préféré retirer in extremis les listes de son parti des législatives. « Les chiffres sont caractéristiques de régimes totalitaires et monolithiques », a-t-il dénoncé. Les 91,5% de taux de participation dénotent, selon lui, une manipulation. M. Chebbi n'a pas pu se présenter à la présidentielle, son parti n'étant pas représenté au Parlement. Le PDP a vite fait de déchanter quant à son entrée à la Chambre des députés. Pour M. Chebbi, les législatives ne sont en fait qu'« un classement politique suivant le degré d'allégeance au pouvoir de Ben Ali ». Par-delà le simulacre, prévisible, la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) estime que les résultats « traduisaient la volonté du régime de punir les perturbateurs et récompenser les proches du pouvoir », allusion explicite au parti Ettajdid, dont le nombre de députés est passé de 5 à 3. « Au sujet des 94,48% obtenus par le président Ben Ali, la vice-présidente de la LTDH, Souhayr Belhassen, estime que par rapport au dernier scrutin où il avait obtenu plus de 99%, le pouvoir devient plus raisonnable ». Plus raisonnable ? En tout cas, il l'a été beaucoup moins pour ce qui est du parti du président de la République, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), qui gagne 4 sièges à la Chambre des députés, passant de 148 à 152. Le nombre de sièges y a été relevé de 182 à 189. Le parti de Zine El Abidine Ben Ali en garde la majorité écrasante (80%). L'Union démocratique unioniste (UDU) qui, tout comme le MDS, a voté pour Ben Ali à la présidentielle a maintenu ses 7 sièges, alors qu'aucune liste indépendante n'a été élue. Au pouvoir depuis 17 ans, l'actuel locataire du Palais de Carthage marche sur les pas de son prédécesseur, Lahbib Bourguiba, qui s'était autoproclamé « président à vie ». M. Ben Ali peut lorgner vers un cinquième mandat, d'autant que les amendements introduits à la Constitution, lors du référendum de mai 2002, le lui permettent. Celle-ci relève de 70 à 75 ans l'âge limite de candidature. A l'extérieur, il bénéficie depuis les attentats du 11 septembre 2001 de l'appui indéfectible des capitales occidentales, Paris et Washington particulièrement, au détriment de l'Etat de droit.