« C'est l'occupant, et personne d'autre, qui a contribué à accumuler chez ces gens assiégés et frustrés une charge de violence qui a fini par exploser au sein de la même famille », a dit le grand poète. Lorsque le célèbre poète palestinien Mahmoud Darwiche raconte la « victoire » du Hamas à Ghaza, lors d'un récital — controversé — donné à Haïfa, pour la première fois en Palestine occupée depuis son exil en 1970, l'ironie se mêle à l'amertume. « Nous nous sommes réveillés du coma pour voir un drapeau monocolore (vert, du Hamas) supprimer un drapeau quadricolore, celui de la Palestine », a lancé, dimanche soir, le poète national palestinien devant les 2000 personnes qui avaient réussi à décrocher des billets. La plupart des députés arabes au Parlement israélien étaient présents, préférant assister au récital de Mahmoud Darwiche qu'à la cérémonie d'investiture du nouveau président israélien Shimon Peres. La voix chaude, sobrement vêtu d'un costume anthracite, Darwiche captive une audience qui lui est largement acquise et déclame des vers où se côtoient combattants du Hamas et membres des services de sécurité fidèles au Fatah. Les premiers escortent les seconds après leur reddition à Ghaza à la mi-juin. Il évoque des « prisonniers en tenue militaire conduisant d'autres prisonniers, nus, vers les caméras filmant la victoire ». « Nous avons triomphé. Ghaza a gagné son indépendance de la Cisjordanie. Un seul peuple a désormais deux Etats, deux prisons qui ne se saluent pas. Nous sommes des victimes habillées en bourreaux », ajoute-t-il. « Nous avons réalisé que nous avons plus d'un père, non pas parce que nous sommes des bâtards, mais parce que nous avons été aveuglés par nos ego surdimensionnés. Nous avons triomphé en sachant que c'est l'occupant (israélien) qui a réellement triomphé », poursuit le poète de 66 ans. Très applaudi, son récital a été suivi par des milliers de personnes sur des écrans géants dressés à Haïfa et d'autres localités et retransmis en direct par la chaîne arabe Al Jazeera. Le poète a critiqué la « mentalité israélienne de ghetto » et la politique israélienne qui empêche la création d'un Etat palestinien viable. L'intransigeance israélienne affaiblit les « modérés » dans le camp palestinien et renforce les plus radicaux, affirme-t-il. « Les modérés sont poussés à faire des concessions jusqu'à ce qu'ils apparaissent comme des traîtres, et les extrémistes se transforment aux yeux des frustrés en héros capables d'apporter la solution », a-t-il expliqué. Il a accusé Israël d'avoir semé les germes des luttes interpalestiniennes. « A cause de la colonisation (juive), la création d'un Etat palestinien sera une des merveilles du monde. C'est l'occupant, et personne d'autre, qui a contribué à accumuler chez ces gens assiégés et frustrés une charge de violence qui a fini par exploser au sein de la même famille », a-t-il dit. Estimant que « la seule réussite » des Palestiniens après 40 ans de lutte contre l'occupation israélienne était de « ne pas mourir », il a prédit que « ce peuple, dont les ennemis n'ont pas réussi à l'exterminer politiquement, saura comment mettre fin à la folie des siens ». Ce récital de Mahmoud Darwiche, une figure de la cause palestinienne et ancien membre du comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), était son premier à Haïfa depuis 37 ans. Considéré comme un des principaux poètes arabes de sa génération, Mahmoud Darwiche est né en 1942 à Al Baroua, en Galilée, alors en Palestine, sous mandat britannique, et aujourd'hui occupé par Israël. Il a choisi l'exil en 1970. Après des années à l'étranger, notamment à Paris, le poète s'était rendu en 1995 à Ghaza après l'avènement de l'Autorité palestinienne avant de s'installer à Ramallah. Il a été autorisé à fouler le sol de la Palestine occupée pour la première fois depuis son exil en mai 1996 afin d'assister aux funérailles de l'écrivain Emile Habibi.