Mais, tout compte fait, s'interroge le poète palestinien, Mahmoud Darwich, qu'est-ce que la patrie sinon siroter mon café auprès de ma mère, et rentrer chez moi, sain et sauf, à la tombée de la nuit ? Les tensions, on le constate un peu partout, s'exacerbent sitôt qu'il y a tentative de donner un coup de boutoir à la notion de patrie. Certes oui, la planète est devenue, ou en passe de se transformer, en un petit village dont les habitants parviendraient à se saluer aisément ou à se lancer des pierres. Toutefois, la mondialisation, qu'on le veuille ou qu'on s'y refuse, n'est pas en mesure d'entamer les différentes tentatives de l'homme de se situer géographiquement, donc sentimentalement. Bien au contraire, celui-ci est tout le temps à revoir les idées reçues à ce sujet depuis que la notion d'appartenance à une région, à une terre, s'est dessinée dans son horizon. En fait, une tente et un petit drapeau sont susceptibles de lui faire croire qu'il est chez lui, mais à condition que le tout soit accompagné de sécurité, de quiétude et, bien sûr, d'une pitance assurée. Pour les Algériens, spoliés de leur terre durant 132 ans, bivouaquer dans l'Histoire a toujours été le grand combat à mener, tant il est vrai qu'on ne peut vivre sans appartenance géographique avec tout ce qu'elle implique au plan identitaire. « Je prendrai femme et enfants, avait dit un guerrier algérien du XIXe, écœuré par la défection de certains à l'approche de l'ennemi, et je m'installerai parmi les loups ». Cela ne l'empêcha point de tourner bride et hâter son galop pour défendre les siens, donc une certaine appartenance. La définition de Darwich n'est pas plus poétique et porteuse que celle de ce jeune Algérien à qui on demanda, en pleine guerre de libération, de définir la notion de patrie. « Celle-ci, avait-il répondu, n'est autre que le regard que ma mère me lança lorsque les parachutistes de Bigeard ont fait irruption dans notre maison pour me traîner vers une destination inconnue ». Certes, on fuit parfois sa patrie, mais, pour pouvoir mieux l'aimer. On s'engage dans des boat people de hasard en plein océan avec, pour seule richesse, « cette somme de sentiments entre les côtes », pour reprendre une tournure arabe classique. La petite maison, la ruelle encore à caractère champêtre ou le bout d'une phrase musicale ancestrale prennent, en même temps, le chemin de la mer. La fuite a beau alors sembler définitive, elle représente, en fait, l'autre versant de l'amour de la patrie. En vérité, il n'y a pas une seule définition de la notion de patrie, mais bien des formes qui naissent, au fur et à mesure, au gré des circonstances historiques et à hauteur de chaque individu d'où l'ineffable mystère en ce domaine. Comment doit-on alors considérer le Palestinien qui fait l'accolade à la mort chaque jour pour renaître le lendemain de ses propres cendres ? Comment, tout aussi bien, qualifier l'obstination de ces groupements sociaux qui s'obstinent à rester toujours chez eux en dépit de la menace d'une activité volcanique dévastatrice qui ne leur laisserait aucune chance de survivre ?