En dépit des critiques acerbes, virulentes et parfois violentes des avocats à l'égard du bureau du conseil de l'Ordre sortant, le bilan financier et moral a été adopté hier à l'unanimité. Samedi prochain, les membres du conseil se réuniront pour décider de la date du scrutin, pour lequel se disputent déjà quatre listes et un indépendant. C'est dans un climat assez électrique et tendu que l'assemblée générale du barreau d'Alger a eu lieu hier au siège de l'UGTA, à Alger. Avec une participation très significative, les avocats ont néanmoins adopté à l'unanimité le rapport moral et financier du bureau sortant, alors que le débat sur ce volet n'avait même pas pris fin. Pour la première fois, – fin de mandat oblige – 27 sur 31 membres du bureau ont pris part à l'assemblée. Les interventions sont virulentes et lèvent le voile sur le malaise vécu par cette corporation, censée être le pilier d'un Etat de droit. Pendant plus d'une heure, le bâtonnier Me Abdelmadjid Sellini (également bâtonnier national) énumère les différentes actions réalisées, ou plutôt sur le point d'être réalisées, durant ses deux mandats. « Une conférence nationale tenue au Club des Pins, avec la participation du premier magistrat du pays, le projet d'ouverture d'une école d'avocats, l'achat d'un terrain et d'un bureau, des places de parking automobile, le projet de révision de l'article de loi relatif au délit d'audience qui permet à un magistrat de poursuivre à l'audience sur simple procès-verbal un avocat ou un citoyen en cas d'incident. Et j'ai laissé 90 millions de dinars dans les comptes »,dira-t-il. Il rappelle que 49 avocats sont actuellement poursuivis dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions, et qu'à ce titre, de nombreuses démarches ont été entreprises par son bureau pour faire annuler ces poursuites. Pour ce qui est du rapport financier, le bâtonnier se lance dans la lecture de nombreux chiffres et sommes impossibles à comprendre. Avant de donner la parole à une salle visiblement en ébullition, il fait remarquer qu'il est prêt à entendre « toutes les critiques aussi sévères qu'elles soient d'autant que l'assemblée générale intervient à la veille des élections (...), mais je n'accepte pas les extrémistes d'un bord ou de l'autre ». La première intervention émane d'un jeune avocat, qui reproche au bureau dirigé par Sellini de n'avoir pas soutenu ses confrères du barreau de Mascara, en grève de la faim, depuis plusieurs jours. Me Sellini l'interrompt pour lui souligner que le débat doit être concentré sur le bilan financier et moral. L'intervenant poursuit ses critiques et interroge les membres du conseil pourquoi aucune liste des avocats n'existe au barreau d'Alger. Que des promesses Son confrère s'est attaqué avec virulence au bureau, lui reprochant de ne pas avoir distribué le bilan à l'assemblée générale pour permettre un meilleur débat. Une idée soutenue par une de ses consœurs qui regrette que la réunion de colonne (entre les membres du bureau) ne se tient plus avant les assemblées générales. Cette avocate est fortement applaudie, lorsque involontairement elle déclare en arabe être venue à cette assemblée aveugle, au lieu de générale. Lapsus révélateur, dit-elle en riant. Elle rappelle au bâtonnier que les acquis de son bureau sont tous des promesses, à part l'assurance pour les avocats stagiaires, imposée par la mort de l'un d'entre eux. Plus acerbe, l'intervention d'un ancien bâtonnier sur le risque de voir disparaître de nombreux cabinets à cause de la mondialisation a fait mouche. « Des cabinets étrangers sont en train de s'installer chez nous, il y en a même un qui dit que l'Algérie n'est pas un milieu d'affaires, alors que de l'autre côté, notre pays est refusé d'accès à l'OMC à cause de la loi sur la profession d'avocat (...) Ils estiment que nous ne sommes pas à la hauteur », lance l'avocat avant de conclure avec un message adressé au président du barreau, Me Sellini. « Sachez que l'article 68 de la loi sur la profession de l'avocat prévoit deux mandats seulement pour le bâtonnier national, alors ne faites pas perdre à la capitale ce siège pour des raisons électoralistes. » En effet, Me Sellini, qui a déjà cumulé deux mandats en tant que bâtonnier national, s'est présenté avec une liste pour se faire élire une troisième fois à la tête du barreau d'Alger. S'il est élu, il ne pourra pas se présenter au poste de bâtonnier national, choisi après vote parmi les 12 barreaux. L'avocat appelle le bureau à plus d'équité, puisque au moins deux de ses membres, les Mes Sellini et Lekhlef sont sur des listes électorales. Après avoir répondu à quelques-unes des critiques, Me Sellini demande à l'assistance de passer au vote, alors qu'une liste d'intervenants attendaient pour prendre la parole. Le bilan est voté à la majorité. Le débat continue. Ce qui fait sortir Me Bouchachi (candidat à l'élection) de ses gonds. « Je pensais que c'était une occasion pour discuter dans la transparence le bilan, mais cela n'a pas été le cas. C'est la première fois que l'on adopte un bilan avant de le débattre (...) Les problèmes de la corporation ne se résument pas au matériel, mais aux principes pour lesquels nous nous sommes engagés. J'aurais aimé qu'une grève soit déclenchée non pas pour des places dans un parking, mais pour dénoncer le fait qu'un juge nous refuse en pleine audience un deuxième renvoi pour une affaire qui tourne depuis 25 ans, parce qu'il a reçu des instructions. Lorsque des juges subissent des pressions, nous devons nous solidariser avec eux. Je regrette mais c'est là qu'il fallait réagir. » Lui aussi exige du bureau plus d'équité et de transparence lors du choix des scrutateurs et des organisateurs des élections, dont la date sera décidée samedi par les membres du conseil de l'Ordre. Ces derniers s'offusquent lorsqu'un jeune stagiaire compare leur comportement à celui de l'administration coloniale, parce que son tour pour prendre la parole a été dépassé. Des réactions virulentes s'en suivirent, créant dans la salle un chahut, puis des brouhahas, au point où personne n'entend plus personne. L'assemblée s'est terminée presqu'en queue de poisson en fin de journée.