« Chez nous la vérité est toute nue, outre Méditerranée, elle est revêtue d'une gandoura, ce doit être une question de climat ». (Audience 20 mars 1958 ; TPFA de Douai) (1) Ainsi s'exprimaient le président D. et le substitut général S., en incitant le jury à se livrer à « une œuvre de salut public, à frapper fort », après avoir requis la tête des coreligionnaires (dans le texte) assis dans le box des accusés : à défaut de preuves ou d'aveux extorqués, ils doivent être condamnés, car coupables de « nier systématiquement ». Donc, pour juger les Algériens, la justice française substitue à la présomption d'innocence, pilier de son droit pénal, la présomption de culpabilité sur motifs ethniques et religieux expressément visés (2). La vérité selon la magistrature travestie en uniforme militaire, ou sous toge professorale, demeure ancrée dans les recoins de la mémoire collective coloniale, toutes options idéologiques confondues. Qui a pris l'initiative, cinquante ans après, de dresser un réquisitoire contre les organes institutionnels ayant présidé à la honteuse législation d'exception ? Les péripéties prévisibles bousculant les us protocolaires, ayant escorté la visite d'Etat, y puisent leurs sources. Elles administrent opportunément, la preuve que l'Algérie n'entend pas transiger sur sa mémoire, pas plus qu'elle n'avait transigé, sous la contrainte de l'effusion de sang, sur la pleine réalisation de ses légitimes revendications. L'université était partie au conflit et complice active. Ses membres ne peuvent, aujourd'hui, se prévaloir de son label comme référence d'objectivité qui les qualifierait pour établir un compromis qui aurait valeur de vérité, avec l'aval de quelques Algériens : l'invitation, peu surprenante, à dépasser le contentieux, en l'état, revient à faire entériner sa version. Il n'appartient pas à d'autres d'écrire la version algérienne de la genèse des hostilités contre l'ex-occupant. Les Algériens/nes ont largement payé la liberté de récuser les orientations et interprétations auxquelles ils/elles n'adhèrent pas et les critères qui ne leur sont pas propres, tendant à la dénaturation des faits, voire à leur falsification. L'homélie prononcée par le chef de l'Etat et du gouvernement français lors de son transport, à la tête de sa suite d'émigrés choisis, a le mérite d'une piqûre de rappel : après la négation opiniâtre du droit des Algériens à disposer librement de leur patrie et patrimoine, voici le négationnisme provocateur de leur droit à la mémoire. Aucun universitaire ou homme politique allemand ne s'est autorisé à juger les acteurs ou les actes de la résistance française. Aucun chancelier d'Allemagne n'est venu plaider en France la légitimité des crimes commis pendant l'occupation ou la réhabilitation du national-socialisme. Le président français récite l'archaïque devise ornant les frontons des édifices publics coloniaux, mais omet de signaler aux jeunes auditeurs que leurs aïeux en étaient exclus par le sous-statut de droit local, voté et reconduit sous les trois républiques successives. De la mystification du siècle des lumières et du 14 Juillet, les Algériens n'avaient vu que du feu, et pas seulement d'artifices. La doctrine coloniale prônait la supériorité de la race européenne, par une voix aussi officielle que celle d'un Jules Ferry et était doublée d'une guerre ostentatoire de la croix contre le croissant, comme l'attestent les motifs d'inculpation reproduits ci-dessus. Côté commerce, il semble évident que les homologues de part et d'autre avaient amplement la capacité à parapher les menus accords bilatéraux. En fait, la pièce maîtresse du négoce fut l'offre d'une vague place au sein d'une hypothétique union méditerranéenne, dont il serait le maître d'œuvre à la condition préalable, que l'Algérie décrète l'amnésie générale sur 132 années de sanglante occupation. Rappelons tout de même, que l'Algérie déploie souverainement plus d'un millier de kilomètres de littoral et que le siège social de cette nébuleuse indéfinie a été attribué au moins trois fois et pas au profit de la rive sud. Rêver d'avoir l'Algérie dans la manche, ou la poche, pour se prévaloir d'une place prépondérante en Méditerranée relève de l'obsession : pour cette raison, de Gaulle avait perpétré les assassinats collectifs du 8 Mai 1945 et Salan s'était empressé de confirmer au Département d'Etat US, la mise à disposition des bases navales pour susciter son adhésion au putsch. Il se déclare non-islamophobe. Il a néanmoins orienté une décision de justice approuvant la publication de caricatures blasphématoires sur l'Islam et proclamé haut et fort ses griefs religieux et raciaux contre l'admission de la Turquie dans l'UE : bien qu'Etat laïc, et allié stratégique des USA, ses 80 millions de musulmans ne sont pas moins inquiétants pour l'identité judéo-chrétienne de l'Europe. S'il cumule tous les portefeuilles et casquettes de commandement de la République française, il ne précise pas à quel titre supra-national il s'exprime, puisque son pays n'est pas l'unique riverain du nord de la Méditerranée. Aurait-il, aussi, un bout de commandement de la VIe Flotte qui quadrille les eaux sous pavillon sprangled banner. Postule-t-il pour une place sur le marchepied d'un de ses patrouilleurs, en échange de ses bons et loyaux services de porte-voix auprès des ex-possessions du Maghreb ? A moins qu'il n'exige son retrait pur et simple de la Méditerranée, puisque les troupes du défunt pacte de Varsovie ne constituent plus une menace pour les valeurs de l'Occident ? Ses amalgames en histoire, tendant à édulcorer l'occupation et à légitimer la criminalité coloniale s'inscrivent banalement dans la continuité et rappellent que tous les organes de l'édifice institutionnel français y avaient collaboré. Curieusement, il reçoit un concours empressé, de pseudo-amis de l'Algérie, qui n'étonne aucun initié : reconnaître le droit des Algériens à la mémoire, oui mais… sous conditions. Tout le microcosme mondain parisien riait en douce en [re]découvrant l'appel à dépasser le contentieux ,qui est en fait une offre de services au DRH Sarkozy, par des habitués des buffets officiels laissés sur leur faim et le quai d'embarquement. Ils se bousculèrent devant les micros pour donner libre cours à leurs recettes surannées. Hormis les vœux d'instruire le procès du FLN qui n'aurait pas réussi un sans-faute, ils ajoutent une nouveauté, et défense de rire : les Européens auraient souffert de leurs privilèges de colonisateurs. Et, à titre d'arguments, ils avancent leur attachement à l'Algérie et aux Algériens. On les comprend. Le FLN a eu le mauvais goût, en y mettant les moyens, de mettre un terme à ces attaches affectives de type particulier. Quid de leur négation viscérale du droit à l'égalité de l'indigène, de leur soutien à l'arrivée du contingent et à l'effusion du sang des Algériens ? Rupture des attaches affectives De ce fait, ils n'avaient pas daigné s'intéresser à la reconnaissance du « jus soli » par la République algérienne, conformément aux textes fondateurs de la Révolution et aux Accords d'Evian. Les Algériens sont donc invités, aujourd'hui, sur prescriptions édictées à partir de l'ex-chef-lieu de la gendarmerie coloniale, à dépasser le contentieux. Et, dans la foulée, droit d'ingérence oblige, il est conseillé au gouvernement algérien de cesser d'invoquer la mémoire de son peuple, sous peine de se voir accusé de tourner le dos à l'avenir. Cette injonction supplétive du discours officiel réveille, comme une gifle, le souvenir de la sainte-alliance droite-gauche qui présida aux votes et reconductions de la législation d'exception. Pour nous attarder sur quelques signataires, hormis ceux qui nient l'existence d'une nation précoloniale en Algérie, on relève deux (ou trois) membres de la législature socialiste qui pourraient utilement acter afin de contribuer à vider le contentieux : peut-être pourraient-ils établir la nomenclature chronologique et nominative des Algériens guillotinés dans les prisons de France et d'Algérie, en vertu de la loi sur l'état d'urgence de 1955 (projet de P. Mendès France avant la chute de son gouvernement) et des pouvoirs spéciaux de 1956, votés par leurs parti respectifs, alors que les voix communistes n'étaient pas nécessaires pour atteindre la majorité.S'agissant de dossiers de l'action publique, les verdicts ayant été rendus en audience publique au nom du peuple français et vu les privilèges inhérents à leurs anciennes attributions, ils pourront surmonter les obstacles. Ils la remettraient, par exemple, à l'organe de recherche algérien compétent en initiant des diligences afin de versement de ces dossiers de martyrs, à ses archives pour que les Algériens puissent les consulter. Ce serait un acte positif pour reconnaître la responsabilité de leurs propres partis, les désavouer et ainsi, contribuer à amorcer l'apurement du contentieux. On y relève aussi les noms de ceux qui trouvent exagéré le chiffre des victimes algériennes pour la période 1954-1962, sans autres preuves que les évaluations sciemment approximatives de l'armée française. On apprécie d'autant plus l'héroïsme de cette contestation, que l'Algérie n'a pas édicté de loi pour réprimer la contestation du nombre de ses victimes, ni pour fixer une version historique d'office par décision de justice. On ne compte plus, en France, le nombre d'auteurs sanctionnés par les tribunaux pour révisionnisme ou négationnisme et d'universitaires radiés de leur enseignement pour avoir émis des doutes et appelé à un débat contradictoire sur le nombre réel des victimes de confession juive alors que l'Allemagne hitlérienne n'avait épargné ni les communistes, ni les minorités tsiganes ou homosexuelles. Signalons pour clore l'examen de cette liste de premiers signataires leurs dénominateurs communs : les lacunes criantes de leurs connaissances dépassées, voire confuses, et leur spécialité d'animateurs assidus de colloques pseudo-scientifiques qui se transforment en tribunes réservées aux furieuses attaques de nostalgiques devenus opposants en tous genres à l'Algérie. Le marché proposé par cet appel a le mérite de la clarté, sinon de l'indécence. Il est en plus assorti d'une véritable OPA sur l'exploitation des archives publiques au profit de rentiers patentés par l'université… et l'armée. Ils revendiquent une espèce de privilège de nantissement sur les archives en s'investissant d'une mission de conciliateurs pour déterminer le contenu et la forme qui permettraient, d'après eux, de dépasser le contentieux. Les émérites pléthoriques et autres spécialistes ès-etc, etc, viennent d'être trahis, s'il le fallait encore, par leur réflexe conditionné et les limites de leur savoir : ils ne sont spécialistes, en réalité, que de la version unilatérale française qu'ils prétendent, on ne sait pourquoi, opposable à l'Algérie. Certains d'entre eux se distinguant par leur pratique du double langage. Après leur postulat que les Algériens ne constituent une nation que par les vertus de l'occupation et les allégations, non vérifiées, contestant le nombre des victimes algériennes, voici le projet d'un compromis qui réaliserait une reconnaissance réciproque… de torts partagés. Autrement dit, le schéma classique consistant à tirer les revendications des Algériens vers le bas, avec un pas dans le sens de la réhabilitation du colonialisme de bon aloi et de ses adeptes. On rejoue la paix des braves. Tout cela sous la tutelle de diverses officines, de hautes études bien sûr, où prospère tout un vivier de maîtres de chapelles qui régentent l'histoire coloniale, lui trouvent des alibis en bannissant tout débat contradictoire. Nul n'ignore que la recherche n'est pas régie par les seuls critères objectifs. A quel titre l'université française, béquille stratégique de l'expansion de la doctrine coloniale, serait-elle qualifiée pour établir une version opposable aux Algériens ? Un traité entier ne suffirait pas pour énumérer ses actes de collaboration avec le pouvoir exécutif, sous estampille scientifique, à la criminalité perpétrée pendant plus d'un siècle. Pour nous en tenir à la maison du Droit, les doyens du Panthéon usaient, alors, du délicat euphémisme de flexibilité du principe de légalité, pour justifier l'abrogation pure et simple du dogme de la séparation des pouvoirs-nés, justement, de la Révolution française. Tout un édifice de droit de confection fut élaboré par les hautes juridictions pour revêtir l'arsenal militaire et ses procédés, dont les assassinats de masse, de l'apparence du légalisme. A titre d'exemple, et sans nul besoin de plonger dans les attendus fastidieux des décisions dites de justice, la liste des signataires appelant à soutenir les opérations de pacification, en 1961, comptait une légion de titulaires de Chaire. Au « Juris classeur » de l'année 1960, alors que les saisies de journaux, les perquisitions sans mandats aux domiciles et bureaux, les internements administratifs, les assignations à résidence se multiplient, on relève des notes concluant que les libertés publiques sont respectées. Sans doute, comme un 17 octobre sur les berges de la Seine. Dans un éditorial constatant la fin des hostilités, M. Duverger finit par concéder que la légitimité des revendications a fait échec au légalisme. (A suivre) Sources : 1. Les noms des magistrats sont mentionnés dans les comptes rendus d'audiences des éditions correspondantes de La Voix du Nord. 2. Nous rappelons avoir développé dans des contributions précédentes les lois ayant abrogé trois autres piliers du droit pénal français : le principe de non-rétroactivité, l'excuse de minorité et la procédure d'instruction contradictoire.