C'est vraiment pénible d'être prêt à tout pour survivre en Afrique du Sud. Plus grave encore, comme l'indiquent certaines statistiques, c'est de mourir de sous-nutrition dans un pays aussi riche que l'Afrique du Sud. Et dans une moindre mesure continuer à se battre pour réduire les graves inégalités. Mais fallait-il pour autant s'en prendre à ceux des pays voisins et même éloignés qui ont atterri en terre sud-africaine en quête, eux aussi, de survie. L'Afrique du Sud attire les investisseurs, peut-être un peu moins depuis qu'elle est entrée dans une phase d'instabilité politique et depuis peu de déferlante xénophobe, mais elle a aussi produit des écarts entre les groupes de populations. C'est la demande, voire la revendication de démocratie, un principe qui suppose l'égalité dans tous les domaines comme les revenus, l'enseignement et la santé principalement. Tous les dirigeants sud-africains partagent ce constat et ils recherchent l'homme providentiel avec l'élection présidentielle qui aura lieu dans moins d'une année. En attendant cette perspective, ce pays a besoin d'une sortie de crise que le simple recours à la force n'a pas pu créer. En effet, les violences xénophobes, qui ravagent des townships sud-africains depuis douze jours, se sont, pour la première fois, propagées à la région du Cap (sud-ouest), a annoncé, hier, la police. Une réunion publique dans le bidonville de Du Noon, situé à 20 km au nord de la ville du Cap, a dégénéré en violences. C'est le premier incident du genre dans les environs du Cap. Le gouvernement a créé, jeudi dernier, une commission d'enquête composée de ministres nationaux et provinciaux, « pour découvrir la source de certains des problèmes », selon le ministre de la Présidence, Essop Pahad. Les violences se sont étendues depuis mardi dernier au delà de la capitale économique sud-africaine, avec la crainte qu'elles ne se propagent à tout le pays. Si la situation semblait plus calme dans les bidonvilles de la province du Gauteng, où se trouve Johannesburg, la police a, pour la première fois, fait état d'attaques dans celle limitrophe du North West. Les violences, qui ont éclaté le 11 mai dans le bidonville d'Alexandra à Johannesburg, ont fait au moins 42 morts, selon la police qui a procédé depuis à 517 interpellations. Plus de 16 000 personnes ont déserté les townships. Des centaines se sont réfugiées dans des commissariats et des centres paroissiaux, où des associations se mobilisent pour les aider. Face à 40% de chômage et autant de pauvreté, de nombreux Sud-Africains accusent les étrangers, dont quelque trois millions de Zimbabwéens exilés par la crise dans leur pays, de prendre des emplois et d'être responsables de la forte criminalité. Le chef de l'opposition zimbabwéenne, Morgan Tsvangirai, s'est rendu jeudi dernier à Alexandra, où il a été accueilli en héros par ses compatriotes. « Si tout allait bien chez nous, nous n'aurions pas besoin d'être ici. J'espère que nous allons pouvoir résoudre la crise chez nous », a-t-il dit. Ces violences influent déjà sur l'économie, et les opérateurs économiques préfèrent temporiser. Plus grave que cela, les principaux leaders sud-africains se sont fait forts de le souligner, l'image de la « Nation Arc-en-Ciel », rêvée par le héros de la lutte anti-apartheid et ancien président Nelson Mandela, en est aussi ternie. Selon Kgalema Motlanthe, vice-président du Congrès national africain (ANC) — parti au pouvoir en Afrique du Sud qui a évincé en décembre, le chef de l'Etat Thabo Mbeki de sa présidence —, les troubles s'expliquent par la misère. « Quand on vit dans des conditions sordides, il suffit d'un incident pour que la violence explose », a-t-il déclaré, en dénonçant une réaction tardive des autorités. M. Motlanthe a admis que les Sud-Africains « qui n'ont pas eu accès à l'éducation », en raison des injustices héritées de l'apartheid tombé en 1994, enviaient les immigrés, surtout les Zimbabwéens mieux qualifiés. Depuis plusieurs années, l'économie sud-africaine connaît une croissance continue. Là est le paradoxe sud-africain. Et pourtant, c'était le défi que s'étaient lancé ses dirigeants dès la chute de l'apartheid.