Le soleil, à l'horizon, amorce son déclin et pourlèche de ses flammèches invisibles les terrasses des bâtiments. Les venelles, progressivement, se vident de leurs occupants. Un calme olympien y règne. Le resto, lui, commence à se remplir de jeûneurs qui arrivent par petits groupes. Son responsable, débonnaire et souriant, les accueille. Après un échange d'amabilités, il les invite à se mettre à table. Ce qui saute aux yeux, c'est incontestablement la propreté de la salle. Le parterre, les tables, les chaises, tout brille. Scintille. L'équipe de quatorze personnes, dont sept femmes, veille au petit grain. Les effluves qui proviennent de la cuisine taquinent les narines, et donnent un avant-goût. Sur les tables, l'indétrônable chorba, un tajin zitoun, du bourek, des fruits, de l'eau et des boissons gazeuses. A une dizaine de minutes de l'appel du muezzin, la salle, d'une capacité d'accueil de plus de soixante-dix personnes, résonne aux esclaffements des commensaux qui discutent en riant, histoire d'oublier leur faim. Ambiance particulière. Tout le monde attend fébrilement la rupture du jeûne. Du minbar de la mosquée d'à côté s'élève la voix de l'imam. Il libère, du coup, des milliers de ventres creux. « Saha ftourkoum », lance le responsable du restaurant aux convives. « Nta zada », lui répondent-ils. Le tintement des cuillères déchire doucement le silence qui soudainement enveloppe la salle. On avale goulûment les premières bouchées de la chorba. Ici, on s'appelle par le prénom. Tout le monde semble se connaître pour partager la même table depuis la première journée du mois sacré. Les jeûneurs, majoritairement, sont de l'intérieur du pays. On peut, par leur accent, deviner aisément leur origine géographique. Beaucoup parmi eux sont des fonctionnaires. Ils travaillent dans la capitale. Ils mangent dans ce restaurant parce qu'outre les moyens financiers qui ne leur permettent pas de dépenser une grande somme d'argent, ils affirment être chaleureusement servis par l'équipe du restaurant. « Nous pouvons nous permettre, au maximum, cinq cent dinars par repas », affirme Karim, jeune ingénieur, originaire de Bejaia. Abdallah, lui, vient de Laghouat. Plombier de métier, il raconte ce qui l'a amené à se restaurer ici. « Je travaille chez des particuliers. Ils me sous-paient. Si je mange ici depuis le troisième jour du mois de Ramadhan, c'est parce que je n'ai pas les moyens de me payer un repas ailleurs », confie-t-il, avant de reconnaître qu'il est bien servi. « On ne manque de rien », corrobore un autre jeûneur.