Une belle jeune fille d'une beauté exceptionnelle, Dina Marni, journaliste à ses heures perdues, habite seule. Sur le qui-vive depuis une tentative de viol dont elle fut victime, elle se sent épiée, harcelée par un ennemi invisible. « Une ombre furtive, indicible, dont elle devinait la présence inquiétante le soir lorsqu'elle traversait seule les rues désertes d'Alger ». Puis, les cadavres s'amoncellent au fil des premiers chapitres sans que l'auteur nous embarque pour autant dans une enquête policière afin de démasquer un criminel, de réunir les preuves et les indices de son forfait. Il faut patienter jusqu' à la fin pour connaître les mobiles et les procédés du meurtrier en série. L'issue finale du roman est moins une prouesse d'enquêteur tenace qu' un éclairage supplémentaire sur le destin d'une femme à qui, par la faute des hommes, « le chemin de la respectabilité était fermé ». Sous les apparences de femme frivole, jeune veuve multipliant les aventures, se cache une femme guerrière prête à se sacrifier pour sa fille en éliminant ceux qu'elle croyait être source de mal et menace pour elle. Le roman s'attarde davantage sur la psychologie des personnages évoluant à Alger dont l'auteur ne dépeint les bouleversements que par de furtives allusions. Même si nous sommes en pleine « décennie noire », les bruits de l'extérieur ne recouvrent pas les tourments et les fêlures intimes. La mort d'un terroriste, un artiste qui a dérivé ne change en rien la vie de celle qu'il avait connue et aimée dans une autre vie. Les personnages principaux sont quatre femmes au destin et caractères quelque peu dissemblables. Elles affrontent pourtant les mêmes préjugés d'une société machiste, « d'une meute de vicieux ». L'auteur prend soin de se tenir à distance des discours idéologiques. Il y a certes des désirs de révolte, de la colère chez toutes ces femmes mais il y a surtout de la mélancolie, des rêves portés par un style sec qui contient les élans lyriques. Chacune de ses héroïnes cherche à sa manière à échapper à sa condition, d'améliorer son sort. Sania, enfant abandonnée et recueillie dans un centre pour enfants abandonnés, après deux mariages ratés, renaît par la grâce d'une union avec un homme riche, Madiha qui s'occupera du ménage de « la nouvelle bourgeoise » était sous la coupe d'un alcoolique violent. Toma est une paysanne rude des piémonts de l'Atlas blidéen. C'est aussi la tante maternelle qui éleva Zeida, la demi -sœur de Madiha. Après avoir connu une idylle sans lendemain avec un percussionniste dans la campagne, celle-ci rêve de s'émanciper en ville et d'entraîner sa grande sœur « coincée ». L'auteur entremêle judicieusement ces destins de domestiques, décrit les ambitions, les frustrations des unes et des autres. Nous n'avons pas affaire à des héroïnes à la Guy des Cars aguichantes et frivoles ni à ces personnages validés depuis quelques années par quelques auteurs algériens. Elles ne portent pas leur féminité comme un bouclier ; l'auteur parle beaucoup des attraits du corps féminin, du désir, des sortilèges de l'amour sans tomber dans la facilité des descriptions scatologiques. C'est la naissance des sentiments, leur évolution plus que l'action qui priment dans ce livre ou se révèle le talent d'un romancier qui, avec deux œuvres,s prend déjà place dans le rang des bons écrivains. C'est un observateur minutieux des existences démolies, des intrigues, des charmes et des secrets du monde féminin qui a fasciné et inspiré tant de grands auteurs.