Kaddour, un richissime personnage, n'avait pas d'enfants. Après maints pèlerinages, maintes visites aux saints marabouts, il obtint enfin d'avoir des héritiers et sa femme mit au monde un garçon qui fut nommé Hamed et une fille qu'on appela Lella Yamna. Seulement, les deux enfants se ressemblaient si fort qu'il eut été presque impossible de les distinguer, n'eut été la dissemblance de leurs vêtements. Les deux jeunes gens grandirent, Hamed trouva sa sœur si belle et Lella Yamna trouva son frère si beau, que l'affection qui les unissaient se changea en un amour violent. Kaddour pensait que cet amour était tout simplement une extrême affection fraternelle. Aussi quelle fut sa surprise quand disant un jour à son fils : « Hamed, il faut songer à te marier. » Hamed lui répondit : « Mon père, je veux épouser Lella Yamna, ma sœur. » Le malheureux Kaddour, épouvanté d'une telle résolution, ne crut pouvoir mieux faire que de chasser son fils du douar. Hamed, proscrit, s'en alla bien loin, rassembla des gens sans aveu, prêts à tout, et forma une bande de brigands qui ne tardèrent pas à devenir la terreur de la contrée. Hamed espérait trouver la mort dans les luttes qu'il lui fallait soutenir contre les Arabes des villages ou des caravanes qu'il attaquait, mais toujours la mort l'épargna, trouvant sans doute que le destin du jeune homme n'était pas accompli. N'y tenant plus, un jour, Hamed, le brigand, prit deux chameaux, monta sur l'un et s'en alla roder aux environs de la demeure de son père. La nuit venue, il s'en approcha et appela sa bien-aimée. « Yamna Yamna, viens avec Hamed ton fiancé ». Par trois fois, Hamed appela sa sœur, et au troisième appel, Lella Yamna répondit : « Mon frère, mon fiancé, me voici ! » Lella Yamna monta sur le chameau libre et, rapides comme le vent, les animaux dociles conduisirent au repaire des bandits les deux fiancés sacrilèges. Le matin venu, Kaddour chercha sa fille et s'aperçut qu'elle s'était enfuie avec son frère. « Maudits ! maudits ! Soyez-vous ! », s'écria-t-il. « Que jamais les saints marabouts n'intercèdent pour vous ! Que jamais vos corps abjects ne reposent dans la terre ! » Et le malheureux père se livra à la plus profonde douleur. Ce même matin, le brigand Hamed avait réuni tous ses compagnons. « Voici, Lella Yamna, ma fiancée, que nos noces soient célébrées et qu'un superbe festin nous réunisse ! » Le mariage des fiancés fut célébré et un magnifique festin fut servi aux mariés et aux bandits. Le vin circulait et coulait à flots. Soudain, le ciel se couvrit de gros nuages noirs, la tempête se déchaîna, la pluie tomba en torrent inondant le festin, la grêle crépita, le tonnerre roula dans le ciel et, prodige étonnant, les danseuses, les brigands, Hamed et Lella Yamna, les sacrilèges, versant des larmes brûlantes, furent transformés en ces blocs sulfureux. Cela s'est passé au sommet des monts de Hammam El Meskhoutine « Les bains des maudits » situés à Gulema . Mohamed Medjahdi Source : in l'Algérie Traditionnelle de Henry Carnoy « Tome 1 »