Amazigh Kateb renoue avec son ancien groupe, « Gnawa Diffusion ». Après la coupole du Complexe olympique Mohamed-Boudiaf, Alger, où il s'est produit la semaine dernière devant un public très nombreux, à l'initiative de la boîte de communication et d'événementiel « Wellcom Advertising », il animera trois concerts dans l'ouest du pays, demain à Oran (hôtel Méridien) et les 29 et 30 mars au théâtre régional de Sidi Bel Abbès. Le fils de l'auteur de Nedjma, qui s'est imposé à son entourage par sa chanson engagée, ses textes acérés, son dynamisme et sa rigueur, nous a reçus à l'hôtel Hilton d'Alger pour répondre à nos questions. Gnawa Diffusion, le retour ? Pourquoi ? A vrai dire, cela fait un moment que nous avons renoué, c'était en fin 2012, c'était un retour plutôt improvisé vu que nous nous sommes remis à jouer ensemble sur mon projet solo. Puis, nous avons interprété quelques anciens tubes de Gnawa Diffusion. Après, nous nous sommes dit pourquoi ne pas remonter le groupe et sortir un nouvel opus ? Pourquoi ce besoin de réformer le groupe ? Au fait, nous avons renoué ensemble parce qu'il y avait aussi un public fidèle qui a insisté sur cette reprise. Les gens se sont manifestés de différentes manières : via le net, dans la rue, en dehors des concerts... Je voyais bien qu'il y avait une réelle demande. Pour ma part, j'ai du mal à séparer les histoires pour la presse, le public, les gens qui achètent les disques. On parle de ma carrière solo, du groupe Gnawa Diffusion, en réalité je ne fais pas de distinguo entre ma carrière solo et ma vie de groupe, pour moi, c'est la musique qui nous lie et réunit. Comment s'est effectué votre passage à la carrière solo ? Plutôt bien. J'ai d'ailleurs réalisé mon plus grand concert en 2009 lors du Festival panafricain en Algérie où 50.000 personnes y ont assisté. C'est énorme. En plus, ce même public connaissait et maitrisait parfaitement les paroles et les textes, il était dedans et à fond. Dans mon histoire personnelle, il n'y a pas de rupture entre moi, ma carrière solo et Gnawa Diffusion. Mon histoire de groupe a alimenté mon envie de mener une carrière en solo et ce dernier m'a servi pour revoir le groupe, c'est comme quitter son foyer, cela ne signifie pas que tu ne l'aimes pas mais il faut que tu prennes ton envol, que tu te libères. Après, lorsque tu réintègres, tu retournes avec un sentiment d'exultation. Vous remontez sur scène avec les mêmes membres du groupe ? Oui. Au départ, j'avais envie de reconstituer Gnawa Diffusion en plus petit, c'est-à-dire en petite formation, en baissant l'effectif et en gardant les membres fondateurs. Je voyais mal comment faire tourner la machine « Gnawa » comme avant, notamment dans le contexte actuel. C'est en partie à cause de cela si on tourne moins. Aujourd'hui, les grosses machines coûtent beaucoup plus cher aux gens parce qu'ils sortent moins, il y a moins de subventions dans le domaine de la culture. Comment avez-vous trouvé le public d'Alger ? Il est en forme. Il est, en tous cas, plus jeune que nous. J'ai bien aimé, il y avait un mélange de générations, il y avait aussi une bonne parité, c'est vraiment rassurant, cela signifie que les gens prennent de plus en plus l'initiative de sortir, les papas ont moins peur pour leurs filles, c'est-à-dire qu'il y a un minimum de tranquillité dans les événements par rapport aux quinze dernières années. Ne pensez-vous pas qu'en vous produisant dans l'Algérois et l'Oranie, vous allez « frustrer » d'autres publics de l'Est et du Sud ? On ne va pas refuser de jouer non plus, il vaut mieux frustrer une partie que frustrer tout le monde et... soi-même. Ce n'est pas notre choix, c'est une initiative menée par l'organisateur parce qu'il a ses réseaux. Il nous a proposé des lieux où nous pourrions nous produire. Déjà, trouver un lieu suffisamment grand pour accueillir le public, c'est méritoire. Nous avons déjà annulé notre dernier concert à cause de l'indisponibilité d'une grande salle. Cela dit, j'aimerais bien animer des concerts à travers tout le pays, notamment prendre part dans un gros festival campé dans une bourgade. Notre pays est beau, filmique et théâtral. On vous a remarqué dans le film « L'Oranais » de Lyes Salem où vous avez campé le rôle d'un raïman et vous êtes distribué dans un autre film « Maintenant, ils peuvent venir » de Salem Brahimi. Parlez-nous de cette expérience... J'ai tourné durant quatre jours dans le film « L'Oranais » et deux mois non stop dans le film « Maintenant, ils peuvent venir » de Salem Brahimi. Nous avons effectué des tournages entre Marseille et Alger. C'était intense et riche parce que c'était nouveau pour moi car je n'ai jamais vraiment été acteur. J'ai pris part à des films dans lesquels j'ai été plus dans mon rôle de chanteur comme le film de Lyes Salem. Tandis que dans le film de Salem Brahimi, je campais l'un des premiers rôles, j'ai évolué aux côtés de Rachida Brakni qui joue le rôle de mon épouse. C'est une première pour moi vu que j'ai appris à tourner tous les jours, j'ai appris les contraintes du cinéma, j'ai découvert les aspects techniques. J'incarne le rôle de Nourredine, un imprimeur à l'Enag, à Rouiba. Ce film a été tiré du roman d'Arezki Mellal. Lors de la conférence de presse que vous avez donnée dernièrement à Alger, vous avez évoqué la sortie de votre second album solo, qui sera un condensé de textes de votre défunt père ainsi que des textes en milieu carcéral. Peut-on connaître quelques détails ? Mon premier album solo s'intitule « Marchez noir », le second sur lequel je travaille sortira probablement d'ici la fin de l'année. Il comprend quelques textes de mon père ainsi que des textes en milieu carcéral. C'est essentiellement des textes contestataires qui traitent de la liberté, d'exil. Je cite aussi des textes qui traitent des prisonniers politiques, des gens à qui on a enlevé la parole comme Abdellah El Ouadene, un poète marocain qui a été torturé, exilé et tué en France dans des conditions obscures et qui a laissé des textes magnifiques dont j'ai récupéré les droits vu que j'ai rencontré sa sœur. Je compte intégrer une partie de ses textes dans cet album. Dans ce dernier, j'ai aussi envie de chanter en tamazight. Est-ce que ce nouvel album s'inscrit dans la même ligne que le premier opus ? Oui. C'est bien axé sur les textes, c'est un disque où j'ai envie de dire non à la lâcheté ambiante, c'est beau le courage. J'estime qu'il n'existe aucune société qui est construite sur le courage, elles sont toutes construites et éduquées sur la peur. L'idéal serait d'éduquer les gens au courage, non pas à la peur ou à l'exclusion, ou encore en mettant des barrières entre les gens, il faut laisser les gens confronter leurs idées, les laisser grandir. Il y a une espèce de tutorat qui s'opère de la part des médias et des politiques. En tant qu'artiste, je trouve que c'est insupportable que les artistes ne dénoncent pas. On a aussi appris que vous avez lancé un appel aux jeunes musiciens de la région de Sidi Bel Abbès pour assurer la première partie de votre spectacle. Est-ce une manière à vous de promouvoir les jeunes talents d'aujourd'hui et de demain ? Il y a eu maldonne, j'ai lu dans certains articles de presse que j'ai lancé un appel aux jeunes musiciens pour assurer la première partie de mon spectacle. C'est faux, j'ai adressé cet appel aux musiciens de la région de Sidi Bel Abbès. Du coup, je ne cesse de recevoir des courriers de musiciens de toutes les régions du pays. Je suis navré de devoir refuser la candidature de ces artistes. Si j'ai lancé cet appel, c'est pour découvrir, échanger, rencontrer des jeunes musiciens qui ont cette fraicheur, notamment un musicien guitariste nommé Nadjib, qui m'avait marqué lors d'une rencontre à Sidi Bel Abbès. En plus, je profite de mon passage dans cette ville pour inviter un groupe de la région que je n'ai pas encore sélectionné, histoire de mieux plaire au public. J'ai invité aussi Lotfi Attar du groupe Raïna Raï et un groupe d'Oran « Democratos ». J'aimerai travailler, en outre, sur le raï de Sidi Bel Abbès connu sous le nom « T'rab », que je trouve très rugueux, moins langoureux et moins latin, très proche du blues et du reggae. Ses textes sont socialement très engagés. Aujourd'hui, on a l'impression que vous vous engagez de moins en moins dans l'action politique, n'est-ce pas ? Non, je ne fais pas moins de politique mais plutôt moins de scènes et moins d'interviews. Je m'occupe de ma vie de famille, je me consacre à mes deux enfants qui sont en bas âge. Je profite pleinement de la vie avec eux. A-t-on fait appel à vous dans le cadre de la manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe 2015 » ? Non. Vous avez dernièrement tourné un vidéo-clip à Alger, parlez-nous de ce projet... Nous avons, en effet, tourné un vidéo-clip à Alger au bord de la mer, sur le dernier titre de l'album de Gnawa Diffusion qui s'intitule « Kambé », signifiant regarde dans le langage des esclaves. Cela traite de la dureté de la vie des pêcheurs.