Selon Paris, les frappes aériennes contre Daech, en Syrie, ont pour objectif de prévenir des actes terroristes en Europe et se justifient par la légitime défense. Elles viseront, de façon ciblée, des centres de commandement, des camps d'entraînement et la logistique du groupe terroriste qui, même s'il est contenu en zone kurde, s'est emparé de Palmyre en mai dernier et a progressé récemment dans la région d'Alep. L'offensive militaire française est toutefois sujette au pessimisme pour nombre d'analystes qui doutent de la viabilité des objectifs. « Quand les Américains le font et qu'ils mènent des milliers de frappes, comme ils le font en Irak, ça peut avoir un impact limité. Mais pour la France en Syrie, il ne va s'agir que de quelques frappes symboliques. C'est de la gesticulation, de la poudre aux yeux pour tromper l'opinion », estime Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Pour François Burgat, directeur de recherches au CNRS-Iremam, l'emploi de la force aérienne dans une stratégie antiterroriste proclamée marque aussi un réalignement de la France sur les positions russe et iranienne. Jusqu'alors, la France s'était interdit d'intervenir militairement en Syrie, craignant que cela ne serve les intérêts du président syrien Bachar Al Assad dont Paris réclamait le départ. Cependant, « la donne a changé et nous ne pouvons plus nous permettre de laisser la Syrie, principal repaire de Daech, demeurer un angle mort de notre politique au Levant », avait argumenté à la mi-septembre le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, pour justifier ce changement stratégique. Sur le plan diplomatique, « le chaos syrien doit trouver une réponse globale », a estimé, hier, la présidence française insistant sur le fait que « les populations civiles doivent être protégées contre toutes les formes de violence, celles de Daech et des autres groupes terroristes, mais aussi contre les bombardements meurtriers de Bachar Al Assad ». Pour mieux asseoir la place de la France dans le jeu diplomatique en Syrie, l'Elysée affirme que « plus que jamais, l'urgence est à la mise en place d'une transition politique, qui associe des éléments du régime et de l'opposition modérée ». A la veille de l'ouverture de la 70e Assemblée générale de l'ONU à laquelle assistera le président François Hollande, le changement de cap est perceptible pour le partisan le plus irréductible de la transition sans Bachar Al Assad. Il rejoint, par-delà les enjeux opposés, l'initiative russe qui plaide pour une coalition internationale contre Daech associant l'Irak et la Syrie, En même temps, le président russe, Vladimir Poutine, a le beau rôle, à l'occasion de la tenue de la 70e session de l'ONU, pour présenter son projet visant à assurer une transition politique en Syrie. Moscou est déjà passé à l'acte en traquant Daech dans ses derniers retranchements, en renforçant ces dernières semaines ses moyens militaires — notamment aériens — dans la région de Lattaquié (ouest), bastion du président Assad. Placé devant le fait accompli, Washington s'active à trouver une solution au conflit qui a fait plus de 240.000 morts et chassé des millions de Syriens. « Je considère que cette semaine offre une occasion majeure à tous les pays pour jouer un rôle important afin de résoudre certains des problèmes aigus du Moyen-Orient », a déclaré samedi dernier le secrétaire d'Etat John Kerry, aux côtés du ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif. « Il nous faut parvenir à la paix et trouver une issue sur la Syrie, le Yémen, dans la région elle-même, et je pense que cette semaine nous offre des chances, par le biais des discussions, pour progresser », a ajouté Kerry deux jours avant une rencontre Poutine-Obama.