Des siècles auparavant, des caravanes berbères, arabes et africaines sillonnaient la grande oasis de Ouargla, alors centre incontournable de commerce. Tout s'échangeait entre les tribus autochtones et leurs hôtes du pays du Soudan : sel, dattes, tissus, épices, or, peaux d'animaux, œufs d'autruche... Comme beaucoup de villes sahariennes, Ouardjlane, telle que surnommée en arabe, connut alors son heure de gloire sur tous les plans : politique, économique, social, culturel, architectural et religieux. Plusieurs civilisations y ont laissé leurs empreintes. En témoignent quelques vieux Ksour trônant ici et là et plusieurs Zaouias très actives, comme pour rappeler aux nostalgiques des temps perdus, mais aussi aux amnésiques, le lustre d'une civilisation en proie, aujourd'hui, à l'oubli et à l'indifférence. Dans une louable mais très difficile tentative de redorer le blason de ce patrimoine historique et culturel vieux comme le monde, le ministère de la Culture, via l'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels (Ogebc) et avec le soutien de la wilaya de Ouargla et la wilaya déléguée de Touggourt, a lancé, du 26 mars au 2 avril derniers, une opération promotionnelle intitulée « La Caravane des Ksour racontent » accueillie par une population locale qui n'en rêvait pas mieux. Rarissime, cette initiative devrait faire le point sur la situation des Ksour dont l'état, frisant la catastrophe, inquiète au plus haut degré. Du moins pour en finir avec la désillusion générale et, pourquoi pas, faire pression sur les responsables locaux, accusés de passéisme. Pour les amoureux de l'histoire, de la culture et du patrimoine en particulier, Ouargla compte une quinzaine de Ksour datant de plusieurs siècles Témacine, El-Hedjira, N'goussa, Mégarine, Sidi-Khouiled...) disséminés à travers son vaste territoire. Nombreux figurent sur la liste de classement au titre de l'inventaire supplémentaire de 2009 concernant les sites archéologiques. Selon le représentant de la direction de la culture de la wilaya, quelque 59 monuments et sites archéologiques font également l'objet d'un dossier visant leur classement au niveau wilayal. Ksar de N'foussa ou la lente agonie des « Babiya » N'était-ce la forte mobilisation de la société civile, bien décidée à préserver les quelques « ruines » encore debout, le Ksar de N'foussa, le plus ancien de la région, aura connu le triste sort de l'ancienne ville de Sedrata, où les Mozabites, fuyant l'armée fatimide, se réfugièrent, pendant un temps, avant de bâtir les Ksour de la vallée. La légende soutient que la présence humaine y était signalée 6.000 ans avant Jésus Christ, mais selon plusieurs historiens, dont Ibn Khaldoun et El Aâyyachi, c'est au long règne de la dynastie Zénète des Babiya (1021-1909) que Ngoussa doit sa renommée. « C'est en 1021 que les Babiya investissent les lieux pour instaurer leur dynastie qui a vu passer quelque 22 rois », précise Himli Hadj El Aïd, président de l'association éponyme. Bien qu'élevé quarante ans avant celui de Ouargla, entre 880 et 1010, le Ksar de Ngoussa n'est aujourd'hui qu'un amas de ruines. Quelques vétustes carcasses résistent faiblement aux caprices du climat saharien. D'où la colère des riverains qui s'inquiètent d'une éventuelle disparition du site. « Le Ksar est totalement abandonné par les autorités publiques tant nationales que locales. Il n'a fait l'objet d'aucun classement et de restauration. Il menace tout simplement de tomber en ruine », s'insurge M. Hilmi en appelant à la sauvegarde de ce qui reste de visible de ce pan entier de l'identité régionale et nationale. Les Beni Djellab « pleurent » leur Touggourt De mal en pis. Tel est le constat dressé par les « caravaniers » tout au long de leur périple. Sur le chemin qui mène à Touggourt, les ruines de Ksour s'étalent à perte de vue, dans un décor accablant. A « El Aâlia » ou « El Hdjira », les habitants, impuissants, pleurent la dégradation progressive de ces témoins des civilisations qui ont traversé les lieux. Ils ne baissent pas pour autant les bras. A travers quelques associations locales, ils ne laissent passer aucune occasion pour interpeller les autorités sur l'urgence d'agir. Plus loin encore, à Oued Righ, Touggourt, les choses ne s'arrangent pas. Le lustre historique de l'ancienne capitale des Beni Djellab, sous le règne ottoman (1414-1854) n'est pas le souci premier des responsables de la ville. Sinon comment expliquer la disparition presque totale du Ksar Mestaoua, jadis cité par les voyageurs et autres chroniqueurs arabes comme une rayonnante forteresse ayant connu le passage de plusieurs dynasties. Plus de cinq siècles après sa fondation, le Ksar ne garde que quelques murs épars et dégarnis jusqu'à l'os, accrochées à la vieille mosquée Djamaâ El Aâtiq, surplombant les décombres. « La direction de la culture de la wilaya nous a sommés d'interrompre les travaux d'urgence que nous avons entamés en 2011 pour sauver la bâtisse sous prétexte qu'il existe un projet de restauration à ce effet », se plaint Abdelaziz Chérif, président de l'association Djamâa El Aâtiq. Il dénonce le non-classement de ce chef d'œuvre, joyau de l'architecture islamique, et, qui plus est, première mosquée construite dans la localité. Témacine, le lustre d'un palais résistant au temps Témacine est, avec le Ksar de Ouargla, le seul à avoir bénéficié de l'intérêt public. Les deux bâtisses ont été classées, en 2011 et en 2013, par l'Agence nationale des secteurs sauvegardés (ANSS). Mais le plan de sauvegarde final tarde à voir le jour au grand dam des habitants et du mouvement associatif qui ne savent plus à quel saint se vouer pour sauver de l'abîme ce legs ancestral. Contrairement à plusieurs palais de Ouargla, abandonnés par leurs habitants, celui de Témacine a la chance de garder encore en son enceinte plus de 500 familles. Signe d'un attachement rarement vu dans la région, mais les conditions de vie risquent de changer la donne. Ses occupants veillent au grain mais exhortent les pouvoirs publics à entamer la restauration des lieux, en respectant, à la lettre, l'architecture du site. Nonobstant les critiques dont ils sont l'objet, les responsables locaux, eux, se montrent optimistes. Ils font valoir les opérations d'aménagement et de restauration ayant touché plusieurs bâtisses du vieux Ksar, et quelques lieux de culte, dont la mosquée Sidi Ali Témacini (1204), la mosquée Ba-Aïssa qui accueille encore des fidèles...Le site, rappellent-ils, a également bénéficié d'une enveloppe de 80.000 dollars par le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ainsi que de 10 millions DA dans le cadre du fonds de développement des régions du Sud de 2006. le Ksar de Témacine compte parmi les plus vieux sites archéologiques de Ouargla. Il illustre la longue histoire de cette région qui a vu le passage de diverses tribus et dont les ruines sont encore là pour raconter l'authenticité de la civilisation d'Oued-Righ. Il va de soi qu'on ne peut évoquer, dans ses détails, la prestigieuse épopée des Ksour de Ouargla et de Touggourt. Mais force est de dire, qu'au-delà du lustre civilisationnel, plusieurs fois centenaire, qu'elles incarnent, il y a un véritable danger en la demeure. Nul raison ne saurait justifier cet abandon en règle. Loin de manquer de moyens et d'argent, la wilaya de Ouargla, qui jouit pleinement des recettes pétrolières, devrait s'impliquer davantage dans la restauration, la réhabilitation et surtout la sauvegarde de ce qui reste de ces sites archéologiques. La société civile non plus, à travers sa pléthore d'associations dont l'efficacité n'est pas souvent au rendez-vous. Pleinement engagée dans la mise en valeur du patrimoine culturel, matériel ou non, du pays, depuis notamment la création d'une direction promotion-marketing, la Caravane de l'Ogebc a le mérite de jeter la lumière sur ce patrimoine qui agonise. Les Ksour de Timimoun, d'Adrar et de Beni Abbes, qui trônent fièrement du Touat au Gourara, grâce à une mobilisation visant leur préservation, demeurent un exemple à suivre.