Qu'on l'aime ou pas. Qu'on lui tresse des lauriers ou qu'on le voue aux gémonies, une chose est néanmoins certaine : la haute qualité des textes de Djamel Mati fait aujourd'hui de lui l'un des romanciers les plus prégnants sur la scène littéraire. Pour les lecteurs comme pour les critiques, ce géophysicien, rompu à l'art romanesque, pratique une littérature qui laisse rarement indifférent, parce que tout simplement originale. Label qu'il a, une nouvelle fois, porté dans son dernier roman Yoko et les gens du Barzakh, récemment paru aux éditions Chihab. Pour en débattre, la librairie de Bab El Oued a abrité, mardi dernier, une rencontre promotionnelle avec l'auteur. Après cinq ans de traversée pas du tout déserte, il revient sur la scène avec un bouquin cossu, fort de sens et d'esthétique. Un roman dont un personnage bien particulier tient le fil de l'histoire : une chatte. Une siamoise nommée Yoko. Le félin par qui se trame l'histoire de trois familles aux destins différents, mais reliées toutes par la tragédie. Et vivant dans une sorte d'entre deux mondes que l'auteur désigne par le terme arabe de Barzakh. « J'ai essayé de décrire une situation marquée par de fortes émotions et de douleurs où le temps ne compte plus pour les malheureux qui ne vivent que de remords », explique l'auteur. Du temps justement, il fait la pierre angulaire de son récit, en multipliant les descriptions de personnages hors-horloges si ce n'est que le passé douloureux qui leur sert de seul repaire. Dans les méandres de drames Le roman relate l'histoire de Fettouma et Kamel, un couple stérile, écoulant une vie lugubre dans un appartement à Alger, en compagnie de l'inénarrable matou. Après la disparition en mer de Mariama, une jeune fille de couleur est adoptée à l'âge de six ans. En parallèle, c'est l'histoire du couple Mekioussa, veuve d'Ibrahima Aya, un Malien avec qui elle a eu une fille, née à Bamako, après qu'une voyante leur eut confié une « Jacuma » une chatte aux pouvoirs surnaturels laquelle ne devant sans aucun prétexte être séparée du futur bébé. Djamel Mati traîne ses lecteurs dans les méandres des drames humains en installant, d'une plume garnie mais incisive par moments, un décor quasi apocalyptique. Tout est objet de l'obsession de ses personnages, les harragas, le problème d'adoption, le rejet de l'autre, l'identité... des malheurs dont il met les affres de l'étendue et des retombées. Sur le texte, l'auteur de L.S.D est on ne peut plus innovant, intrépide aussi. Confier à un animal le cœur du roman est un choix risqué pour tout auteur, y compris de sa trempe. La tâche, il est vrai, ne lui a pas été simple. « Je me suis fortement documenté sur la psychologie et les comportements des chats » apprend-il non sans confier que l'idée a pour origine une expérience bien personnelle. « J'ai perdu en novembre dernier Yoko, la siamoise que j'ai gardée pendant plus de dix-sept ans. C'est une chatte qui régnait en maîtresse à la maison et qui a partagé une grande partie de notre vie dans la famille » poursuit-il précisant qu'il ne cherchait nullement à écrire une histoire linéaire sans grande aspérité. Il assume son choix et se défend d'être un écrivain obsédé par la réaction des lecteurs. « J'écris les choses telles que je les ressens », insiste-il. Récit de psychologie par essence mais humain par vocation. Au-delà de l'histoire tragique de ses personnages, Djamel Mati propose à ses lecteurs un roman qui quête la vie, dénonce les injustices et professe une sagesse humaine dont nous avons, aujourd'hui, grandement besoin.