Cette victoire confirme si besoin est le règne incontestable de cette figure emblématique du mouvement islamiste tunisien, revenu de son long exil londonien et porté au pouvoir par la déferlante humaine accompagnant la « Révolution du jasmin ». Dans la banlieue tunisoise, à Radés, les quelque 1.200 délégués ont consolidé les assises d'Ennahda, en procédant à la désignation des 2/3 du Conseil de la Choura. Il revient statutairement au président du parti de nommer le tiers restant. La préservation de l'équilibre interne commande, à la faveur des dérives du « printemps arabe », une capitalisation de l'expérience accumulée dans le sillage de la « révolution » de 2011 présentée en modèle réussie du monde arabe en déliquescence. Le nouveau visage d'Ennahda, instruit de l'exercice du pouvoir jugé dictatorial et du changement du mode opératoire privilégiant une forme de cohabitation, s'identifie à la nécessaire mue à la tunisienne, en rupture avec les exigences de l'Internationale islamiste. Essentiel le recentrage, martelé par Ghannouchi, d'un « mouvement qui évolue avec (...) la Tunisie ». Ce choix consensuel, porté par la majorité des tunisiens (73% selon un récent sondage réalisé par l'institut tunisien Sigma, en collaboration avec l'Observatoire arabe des religions et des libertés et la Fondation Konrad-Adenauer) favorable à une séparation entre la « religion et la politique », fait barrage à une instrumentalisation de l'islamisme politique producteur de chaos généralisé, de l'Irak à la Libye voisine, en passant par la Syrie. La nouvelle identité politique du « mouvement tunisien » est sourcée au « parti civil » annoncé en grande pompe par le leader Ghannouchi. « Nous nous dirigeons de manière sérieuse, cela a été adopté aujourd'hui, vers un parti politique, national, civil à référent islamique, qui œuvre dans le cadre de la Constitution du pays et s'inspire des valeurs de l'islam et de la modernité », a-t-il souligné. La passerelle est dûment établie avec la mouvance démocratique. Elle favorise la reconduction de la coalition avec le parti Nidaa Tounes du président Beji Caid Essebsi présent au Congrès de Radés. Mais, une telle évolution qui prône la quête d'une compatibilité de l'Islam politique avec la démocratie n'est pas sans susciter des controverses. Ennahda entend-il « démocratiser l'islam ou islamiser la démocratie ? », s'est interrogé le quotidien La Presse ? De son côté, la dissidente de Nidaa Tounes, la députée Bochra Belhaj Hamida, veut les preuves d'un changement qui doit se traduire par un « parler vrai » dans les pratiques du nouvel Ennahda. « Au niveau des déclarations, c'est rassurant, mais ce n'est pas suffisant. Il faut que le parti prouve dans son discours politique de tous les jours et dans ses relations avec les associations », a-t-elle précisé. La dénonciation du terrorisme d'Ennahda, longtemps accusé de complaisance, marque-t-elle l'avènement d'un « parti civil » ?