Moment n Dès que la couleur de l'olive vire au violet et que les premières neiges recouvrent les cimes du Djurdjura surplombant la vaste oliveraie de Thiniri, les chasseurs de grives savent que c'est le moment de renouer avec leur passion favorite, en retirant leurs pièges du grenier pour chasser cet oiseau à la chair très prisée. C'est par un temps brumeux et de pluie fine, quand il n'est pas possible de s'adonner à la récolte des olives, que les invétérés chasseurs se rendent dans la dense forêt d'oliviers de Thiniri enserrée entre les communes relevant des daïras des Ouadhias et de Boghni, à une trentaine de km au sud de Tizi Ouzou. Ils savent que ces vergers oléicoles sont tout indiqués pour tendre leurs pièges, car c'est à ces endroits que les grives convergent pour se nourrir d'olives, ou remuer l'humus pour y rechercher des vers et des jeunes pousses dont elles raffolent. Selon les adeptes de ce passe-temps, il existe divers pièges, dont le plus courant consiste en un dispositif formé de deux arcs de fil de fer superposés, coulissés par des ressorts écartables au moyen d'une tige de fer destinée également à maintenir le support de l'appât, qui est généralement un ver de terre. Le piège est actionné dès que l'oiseau becquette la proie. La capture du gibier se fait également au moyen d'un nœud coulant fixé à une tige fixe d'oléastre. Toutefois la chasse à grande échelle se fait à l'aide de glu, dont on enduit les branches d'arbres pour prendre les oiseaux qui s'y posent. Le collet, le filet, la lampe utilisée de nuit sont d'autres procédés de chasse préférés par certains braconniers ratissant large. Une fois la pose des pièges terminée, les chasseurs, agissant de préférence par petits groupes, se chargent de rabattre le gibier vers les lieux ou sont tendus les traquenards. Les chasseurs font le guet à partir d'un promontoire dominant les champs piégés, afin d'éviter que leurs précieux outils de chasse ne soient subtilisés par des maraudeurs toujours à l'affût. Après l'écoulement d'un long intervalle de temps, il s'agira, explique aâmmi Kaci, le doyen des braconniers des Aït El Hadj d'Assi Youcef, «d'inspecter» les pièges pour prélever le gibier dans une besace, mais aussi de refaire les pièges désamorcés et d'en renouveler l'appât. La même opération est faite plusieurs fois jusqu'à la fin du jour. Selon ce chasseur qui continue encore à parcourir les monts et les vaux pour assouvir une passion qu'il a contractée dès son jeune âge, «le nombre de pièces de gibier prises quotidiennement varie en fonction de celui des pièges posés, mais aussi de facteurs climatiques, en ce sens que les oiseaux abondent plus en période de froid qu'en temps ensoleillé». Toutefois, fait-il remarquer, «même ceux qui rentrent bredouilles, ne se découragent jamais et n'hésitent pas à repartir à la chasse, tant ils sont tellement empêtrés dans les rets de leur passion». D'ailleurs, il est établi de longue date que celui qui a goûté à la chair succulente de la grive, tout comme celle de la perdrix, rôtie sur les braises d'un feu de bois, en redemandera toujours et ne pourra jamais s'empêcher de repartir à la chasse. Néanmoins, les grives capturées en ce début d'olivaison sont encore chétives. Pour avoir de belles pièces, il faudra attendre, selon les initiés, que ces oiseaux migrateurs se soient suffisamment gavés d'olives pour prendre de l'embonpoint. Leur maigreur est expliquée par le fait que ces oiseaux ont brûlé toute leur graisse, en volant de longues distances au-dessus des mers.