Rackham discute, mais il n'y a rien à faire, d'autant que ce n'est pas la seule exigence d'Ann. — Si nous partons, je veux être habillée en homme et combattre. — Ce ne serait pas la peine. Les matelots ne peuvent pas avoir de femme à bord mais le capitaine... si ! — Si je ne peux pas me battre, je ne pars pas ! Rackham, très épris, finit par accepter les conditions de sa maîtresse. Elle portera des vêtements masculins, se fera appeler Adam Bonny et sera censée être son lieutenant. C'est ainsi qu'un beau jour d'octobre 1719, le couple quitte New Providence, avec un petit voilier et quelques marins, recrutés grâce à Ann, qui a emporté l'argent du ménage. L'équipage n'est pas bien nombreux, mais l'objectif du pirate est d'abord de rentrer en possession de son trésor, après quoi il pourra voir plus grand. Ainsi, avec l'or qu'il a récupéré, il acquiert un navire de guerre et enrôle les plus redoutables des frères de la côte. Cette fois, Jack Rackham est redevenu définitivement, pour le meilleur ou pour le pire, Rackham le Rouge. Ses marins sont un peu surpris de le voir s'isoler des heures, des nuits entières avec son second pour mettre au point les plans de campagne, mais ils en concluent que leur capitaine est homosexuel, ce qui, dans la marine et même dans la piraterie, n'est pas si rare,car imaginer qu'Adam Bonny est une femme ne vient à l'esprit de personne. Lors des abordages, c'est elle qui charge la première, avant Rackham lui-même. Elle manie avec maestria la hache et le sabre et lorsqu'elle sort l'un des deux lourds pistolets qu'elle porte à la ceinture elle ne rate jamais sa cible. Son courage n'a d'égal que sa cruauté : aucune blessure ne l'arrête et elle achève impitoyablement les blessés adverses. Pour Ann Bonny, c'est la vie rêvée ! Elle est amoureuse et elle se bat. Elle découvre chaque jour des horizons nouveaux. Il n'y a que ses compagnons d'équipée qui la déçoivent car à part Rackham ce sont des brutes. Elle n'a aucun mal à se faire respecter, elle leur inspire même de la crainte, mais il est impossible d'avoir le moindre échange avec eux. Elle finit même par s'ennuyer un peu, or tout change avec l'arraisonnement d'un navire marchand hollandais. L'abordage se passe sans problème. Les marins hollandais n'opposent pas la moindre résistance, à part un seul, qui se bat comme un lion et qui, au moment de se rendre, demande à faire partie des pirates. Contrairement à l'avis d'Ann, Rackham accepte. Les autres sont passés par-dessus bord. Et tout le monde a lieu d'en être satisfait. Il s'agit d'un Anglais, un ancien militaire du nom de Mark Read, qui se révèle d'une bravoure et d'une efficacité exceptionnelles au cours des combats suivants. Mais c'est Ann Bonny qui l'apprécie le plus. Il est différent des autres : il n'est ni grossier ni vulgaire. Malgré sa redoutable efficacité aux armes, il est à la fois spirituel et cultivé. Ils ont tous deux de longues conversations. Tant et si bien, qu'oubliant pour la première fois Rackham, Ann s'éprend peu à peu de lui. Un beau jour, elle franchit le pas et lui révèle son secret : — Je ne m'appelle pas Adam, mais Ann. Je suis une femme et, si tu le veux, je suis à toi ! L'ancien militaire a la réaction de stupeur qu'elle attendait, mais la suite n'est pas du tout celle qu'elle prévoyait. — Quel dommage ! Moi aussi, je suis une femme. Je ne m'appelle pas Mark, mais Mary Read. (à suivre...)