Il n'était pas une fois. Il était seulement un petit garçon au fond d'une cour grise et sale, entourée des murs gris de la ville. Au-dessus, le ciel n'avait pas de couleur. A ses pieds traînait un ballon à demi dégonflé ; un chien était assis plus loin, sans regard, sans espoir. L'air était inerte ? on ne savait si le temps passait. Pourtant, un bout de papier qui traînait sur la grille d'égout bougea. Ce ne fut qu'un frémissement, mais le petit garçon posa les yeux dessus. Le papier bougea une seconde fois. Il parut plus grand aux yeux du petit garçon, de plus en plus grand. Il devenait même si grand qu'il formait à présent un rectangle de la taille d'un tapis. D'ailleurs, à bien regarder, il en avait pris les couleurs, recouvrant de rouge et d'or la grille d'égout et le bitume autour. Le petit garçon s'en approcha. Sa jambe droite, qui ne se pliait pas au genou, le faisait boiter. Il s'abaissa comme il put pour toucher le papier-tapis. Aussitôt, une musique incroyablement légère s'infiltra dans la cour comme un bruissement d'insectes au soleil. Le petit garçon releva la tête. Rien n'avait bougé autour de lui, ni le ballon ni le chien, et pourtant il lui sembla que quelque chose de nouveau venait de s'installer dans la cour grise ? Quelque chose d'indéfinissable, d'irréel. Par terre, le tapis était posé bien à plat et semblait attendre. Le petit garçon fut certain de cela immédiatement. Il le toucha de nouveau, l'air frémit. Alors il mit un pied dessus, puis l'autre en boitant. Et il s'assit tout naturellement sur le tapis comme on le fait dans les contes enchantés. Rien ne se produisit hormis les battements fous de son c?ur. Rien pendant un long moment. D'autres auraient douté à la place du petit garçon, mais lui ne doutait pas, simplement il attendait. Brusquement, le chien se leva en humant l'air. Ses yeux blancs où la lumière ne passait plus depuis longtemps n'avaient rien pu voir, mais son instinct avait senti quelque chose. Le petit garçon le siffla. Guidé par le son, le chien le rejoignit sur le tapis où il s'assit lui aussi. - Attends avec moi. Attendons aussi longtemps qu'il le faudra? ça viendra. Ce tapis est venu pour nous emmener loin d'ici, nous partirons forcément de cette cour si moche. Il suffit juste d'attendre le bon moment. Aie confiance. Et le petit garçon ferma les yeux bien fort, comme lorsqu'on attend quelque chose. Longtemps après, il sentit le tapis frémir sous lui. Il ouvrit les yeux sur un monde de lumière bleutée. Autour de lui, des lambeaux de nuages le croisaient, filaments blancs dans un champ d'azur. ? ça y est, on est parti ! cria-t-il au chien. On est partis !? Je te l'avais bien dit qu'on finirait par sortir de cette vilaine cour grise ! Il riait, il embrassait le chien, il regardait partout à s'en dévisser la tête et les yeux. Ils voyagèrent ainsi jusqu'à la nuit tombée. (à suivre...)