Témoignage n «Ma famille a fini par éclater. En tant que commerçant, je gagnais bien ma vie mais quand je me suis retrouvé sans argent, ma femme, me sermonnant, me dit alors : ‘'Tu deviens une charge'', raconte aâmi Mohamed. Après une vie bien remplie, faite d'un métier qui lui a permis de vivre de longues années à l'abri du besoin, aâmi Mohamed, un sexagénaire pensionnaire au foyer pour personnes âgées et handicapées de Bab Ezzouar, se retrouve du jour au lendemain seul, sans femme ni enfants. «Après 50 ans de vie commune, je deviens une charge ? Mes enfants ont eu pour moi les mêmes propos : ‘'Oui, tu deviens une charge et si tu as où aller, vas-y''. Dans les grandes villes, la cellule familiale n'existe pas. Tout n'est plus qu'argent... Si tu en as, on a besoin de toi, sinon tu n'as qu'à quitter la maison. Eddenia maâ el waquef (toujours du côté du plus fort)», nous a-t-il confié. «Tu sais, mon fils, on arrive à un âge où l'on devient très sensible. On retombe en enfance et la moindre parole nous touche et peut laisser une trace indélébile.» C'est ainsi que aâmi Mohamed décide de quitter son foyer bagages en main pour rejoindre le foyer pour personnes âgées . «J'ai opté pour ce centre car je ne voulais pas me retrouver à la rue. Cela fait 21 mois que je suis ici et personne n'est encore venu me rendre visite.» Dépité, il nous confie qu'il n'envisage en aucun cas de retourner chez lui, estimant avoir été profondément blessé dans son amour-propre et déçu. «Je suis ici avec une frange de la société qui me ressemble. On ne peut pas dire que c'est le Paradis, mais el hamdoulah, ici c'est mieux que la rue. Mes enfants ont autre chose à faire que de venir me voir, car je suis devenu une charge pour eux.» Une psychologue au foyer pour personnes âgées et handicapées de Sidi Moussa nous dira d'ailleurs à propos de l'impact des visites familiales sur les pensionnaires : «Cela se ressent qu'ils manquent de chaleur familiale surtout à l'approche du ramadan ou de l'Aïd. Nous faisons tout pour que ces locataires se sentent comme s'ils étaient chez eux entourés de leurs enfants, mais nos efforts restent vains. Il est difficile de remplacer un fils ou une fille... Nous passons l'Aïd avec eux mais certains s'isolent et réclament la présence d'un de leurs proches.» Khalti Khdawedj, une septuagénaire pensionnaire à ce même foyer raconté les circonstances de son admission : «Je vivais chez mes beaux-fils, ils ne se souciaient plus de moi. Un jour, je suis tombée malade et on m'a ramenée ici. Et depuis ils ne sont pas venus me voir.» Aami H'med, quant à lui, est souvent maltraité par ses enfants à cause de l'argent. «Je touche une pension en devises et à chaque mandat, c'est l'enfer. Ils se disputent pour venir avec moi à la banque afin de retirer l'argent et une fois que c'est fait, ils le partagent entre eux. Et quand je tombe malade, personne ne se soucie de m'emmener à l'hôpital.» Si ces personnes sont maltraitées au sein même de leurs familles, d'autres sont victimes de maltraitance au sein des structures de santé, c'est du moins ce que nous constatons quotidiennement dans les hôpitaux. «Quand on va à l'hôpital pour faire une injection, l'infirmier accomplit son geste avec dégoût comme si nous étions des personnes insensibles. Parfois on nous dit vous êtes vieux vous serez mieux à la maison», disent la plupart des malades âgés confrontés quotidiennement à ces formes de mauvais traitement. B. M.