Irina Dranovic ouvre péniblement les yeux sur le décor aseptisé d'une chambre d'hôpital. Elle est plutôt mal en point et souffre de partout. Les médecins qui s'activent autour d'elle, ne tardent pas à lui préciser son état. — Vous êtes gravement blessée, lui explique-t-on avec un fort accent tchèque. Traumatisme crânien, fractures multiples à la jambe gauche et au bras, ainsi que plusieurs lésions à la colonne vertébrale. Irina est encore trop faible pour demander des explications mais elle parvient quand même à obtenir des renseignements sur la date et le lieu. — Nous sommes le 26 janvier 1972. Et ici, vous êtes à l'hôpital principal de Prague. Irina ferme les yeux : c'est bien ce qu'elle craignait, elle n'est pas dans sa Yougoslavie natale, mais loin de chez elle, dans la capitale tchécoslovaque. — Votre famille est prévenue, ajoute un médecin. Vos parents sont en route, ils ne tarderont pas à arriver. Irina fait signe au médecin d'approcher. D'une voix faible, elle lui demande ce qui l'a mise dans cet état. Son interlocuteur lève les sourcils et, sans manifester trop d'embarras répond seulement : — Vous avez eu un accident. Mais nous parlerons de ça plus tard. A présent, reposez-vous. «Un accident ? se demande la jeune femme. Ainsi j'aurais eu un accident de voiture ?» Irina soupire. Elle tente de rassembler ses pensées dans son cerveau endolori. «Voyons... Je m'appelle Irina Dranovic, j'ai 22 ans, je suis hôtesse de l'air... Et s'il s'agissait d'un accident d'avion ? se dit-elle. Mais oui, c'est bien possible !» Cependant, avant qu'Irina n'aille plus loin dans ses investigations, elle sombre dans un sommeil agité. Un peu plus tard, la jeune femme se réveille dans les bras de son père — le pauvre homme a fait toute une partie de la route de nuit pour venir voir sa fille. Irina lui demande de lui tendre un miroir. M. Dranovic hésite d'abord, puis il sort un moment dans le couloir et revient avec un petit miroir tout rond. Irina se regarde avec douleur, mais elle a la satisfaction de constater que, si sa tête a beaucoup enflé, elle ne présente en revanche aucune blessure disgracieuse. — Dis papa... tu crois que je vais pouvoir continuer à voler en tant qu'hôtesse de l'air ? — Mais... certainement, ma petite fille, il le faudra bien. Irina le regarde dans les yeux : — Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ? Raconte-moi, papa. S'il te plaît ! — Tu apprendras tout cela bien assez tôt. A quoi bon se faire du mal quand tout est fini ? Irina se forge cependant une conviction : elle a été victime d'un accident d'avion, sur le vol retour de la ligne Zagreb-Copenhague qu'elle faisait pour la première fois ce jour-là. Les souvenirs lui reviennent, avec peine d'abord, puis de plus en plus facilement : après le vol aller, elle a flâné dans Copenhague, elle a fait du lèche-vitrine. Elle a ensuite passé la nuit à l'hôtel, avant de rejoindre l'aéroport, pour accompagner les cinq membres d'équipage et la vingtaine de passagers à bord du petit DC-9 de la veille. Les moteurs ont chauffé... Les moteurs ont chauffé. Là, c'est le noir complet. Irina a beau se triturer les méninges, ses souvenirs ne vont pas plus loin : elle ne se rappelle même plus le décollage. Les médecins la rassurent : — Vous faites de l'amnésie rétrograde, c'est normal. Votre psychisme a été choqué, et vous avez oublié ce qui s'est passé dans les heures précédant l'accident. Mais... A suivre Pierre Bellemare