Résumé de la 2e partie- Zohra, la sœur de Yamina, vient la voir, lui remonte le moral et lui insuffle le courage et la patience. Les deux femmes s'embrassent et pénètrent dans l'unique pièce de la maison et Yamina s'affaire devant le foyer, car il serait mal poli de ne pas réchauffer la maison quand on a un visiteur. — Mais pourquoi travailles-tu la terre par ce froid ? Il est trop tôt pour la retourner, il faut attendre la pluie. — Non, j'ai simplement ôté les pierres, déclare Yamina de sa voix rauque, en essuyant la sueur qui perle sur son front. Comment vas-tu ? Et khouya Ali ? Et ta bru ? — El-hamdoulilah ! Mais... Hocine n'est pas là ? Où est-il allé par ce froid, avec sa maladie ? Ce n'est pas bien pour lui... — Hocine est parti hier matin à Jijel chez le docteur, il va se soigner... car toutes les plantes et les huiles qu'il a bues n'ont servi à rien. J'ai tout essayé, ma sœur, tu le sais bien, même cette graisse de chameau rapportée du désert. ça l'a soulagé un moment, mais la toux l'a repris. Puis son visage se rembrunit et elle serre les mains au-dessus du feu qui se consume doucement. Elles restent silencieuses un long moment, regardant les braises, et Zohra dit : — Voyons, ma sœur Yamina, ne t'en fais pas, il reviendra bientôt et il guérira, j'en suis sûre ! L'autre essuie ses yeux rougis avec le revers de son gilet. — Mais pourquoi n'as-tu rien dit ? Mon fils Saddek l'aurait accompagné jusqu'à Jijel... — Saddek travaille aux champs chez «el Malti» et il aurait perdu sa place... Si j'avais eu de la chance, je n'aurais pas «mangé» mes autres fils et ils seraient à ses côtés aujourd'hui ! Mon destin est noir, ma sœur ! C'est écrit sur mon front. Un enfant d'environ trois ans, blond comme les blés, le visage rouge de froid, pousse le battant de la porte et entre dans la pièce. Trottinant dans une large blouse de lin retenue à la taille par une petite ceinture de laine nattée, il se jette sur les genoux de Zohra. — Tu m'as suivi jusqu'ici, petit vaurien ! Par ce froid ! Embrasse mama Yamina ! Mais l'enfant se contente de la regarder d'un air inquiet. Ma Yamina avec ses petits yeux noirs, son visage rougeaud et sa forte corpulence de travailleuse de la terre et surtout ses grosses mains aux veines gonflées, lui a toujours inspiré une secrète terreur. Il se serre contre sa grand-mère et se met à jouer avec son bracelet d'argent. — Tu n'as pas nourri tes vaches Yamina, elles n'ont plus d'herbe devant elles... Pourquoi ? Zohra se lève et se dirige vers les animaux. Elle défait les cordes qui les retiennent aux poutres de la «sedda» et ouvrant la porte, les pousse dehors. Les bovins sortent dans un trot rapide, vers le petit bois de chêne, visiblement affamés. Yamina, les mains toujours tendues au-dessus du feu, suit la scène des yeux, les lèvres serrées, sans un mot. — Yamina, ma sœur, ôte ces mauvaises pensées de ta tête, c'est de mauvais augure de pleurer un absent. Reprends-toi, Dieu est avec ton fils ! Cela fait maintenant cinq jours depuis que Hocine est parti et Yamina est de plus en plus angoissée. Depuis deux jours déjà, elle passe tout son temps assise sur le seuil de la porte, recroquevillée sous son grand fichu de laine, bravant le froid et le vent, les yeux rivés en bas, sur le chemin qui monte vers la dechra. De temps en temps, s'appuyant sur la canne du vieux, elle descend jusqu'au tournant qui mène au village, scrutant l'horizon dans l'espoir d'apercevoir la frêle silhouette au chèche blanc. Rien, toujours rien... A l'aube du sixième jour, n'y tenant plus, elle court chez le forgeron et tambourine à sa porte. «Ouvrez ! Ouvrez vite ! Zohra ouvre !» Zohra apparaît sur le seuil, ajustant ses gandouras, inquiète. — Qu'y a-t-il, Yamina ? Kheir ? — Appelle ton mari, vite ! — Entre d'abord, calme-toi. Qu'y a-t-il ? Son calme exaspère Yamina qui se met à crier : — Khouya Ali ! Khouya Ali ! Viens vite ! (A suivre...)