Incertitude ■ Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, contesté dans la rue et éclaboussé par de graves accusations de corruption joue son avenir à la tête du gouvernement. Dans un pays chauffé à blanc par les polémiques, plus de 52 millions de Turcs ont commencé à voter pour élire leurs maires. Les premiers résultats seront connus en soirée. Dans un climat pollué par les affaires politico-financières visant le régime, ce scrutin s'est transformé en vote de confiance pour M. Erdogan. Après douze ans de règne sans partage à la tête du pays, le chef du gouvernement est devenu son personnage le plus controversé: acclamé par ses partisans comme l'artisan de l'impressionnant développement économique turc mais dénoncé par ceux qui lui reprochent sa dérive islamiste et autoritaire. Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui a remporté toutes les élections depuis 2002, devrait finir en tête du scrutin au niveau national, mais nettement en-dessous des 50% des suffrages obtenus aux législatives de 2011. L'ampleur du score de l'AKP et le sort des deux plus grandes villes du pays, Istanbul et Ankara, devrait déterminer la stratégie à venir de M. Erdogan, dont le troisième et dernier mandat de Premier ministre s'achève en 2015. Tôt ce dimanche, les Turcs se sont déplacés en masse pour aller voter. A l'issue d'une campagne longue et tendue, la Turquie paraît divisée comme jamais. Fidèle à sa rhétorique agressive, M. Erdogan a appelé hier ses troupes à donner une «grosse claque» à ses rivaux. «Il nous faut laver la classe politique de ceux qui la salissent», lui a-t-on rétorqué. Encore au faîte de sa puissance il y a un an, le «grand homme», comme l'appellent ses partisans, le «sultan», comme le raillent ses rivaux, a connu un premier coup de semonce en juin 2013, lorsque des millions de Turcs ont exigé sa démission dans la rue. Depuis plus de trois mois, il est à nouveau sérieusement mis à mal par de graves accusations de corruption qui éclaboussent tout son entourage. En riposte, M. Erdogan a durci son discours pour mobiliser son camp et déclaré la guerre à ses anciens alliés de la confrérie Gülen, des «espions» et des «traîtres» soupçonnés de distiller sur internet des écoutes téléphoniques à charge pour le régime. Cette lutte fratricide a culminé jeudi dernier avec la diffusion sur les réseaux sociaux du compte-rendu d'une réunion où le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu et le chef des services de renseignements (MIT) Hakan Fidan évoquent une entrée en guerre de la Turquie contre la Syrie, avec des arrières-pensées électorales embarrassantes. Malmenés par ces révélations en cascade, le gouvernement et son chef ont répondu par des purges et des mesures autoritaires, notamment le blocage des réseaux sociaux Twitter et YouTube qui leur ont valu une pluie de critiques.