Résumé de la 2e partie : Pendant 3 semaines la survie de Abel ne sera qu?une succession d?impressions vagues, de courtes périodes de conscience qui succèdent à des comas indéterminés. Il n?a pas le souvenir d?avoir bu ou mangé ; non plus d'avoir été soigné, ou même touché. Immobile, ou penchée sur lui, la vieille femme se contente de l'observer. Il ne sait pas où il se trouve. Il ne sait pas ce qu'il y a à l'extérieur de cette cabane, s'il y a un village et du monde, ou rien du tout. Son champ de vision est réduit. En fait, il est paralysé et ne peut même pas tourner la tête à gauche ou à droite. Mais peu importe, car il n'y a rien dans cette cabane que lui et cette vieille femme. Et le seul bruit qu'il perçoit est celui des mouches, des nuées de mouches ou de moustiques, en tout cas de choses qui volent, qui vibrent et se posent sur lui. Ainsi passent les jours et les nuits : onze jours en tout, on le saura plus tard, lorsque enfin survient quelque chose. Tout d'un coup il y a du bruit. Des voix crient. Abel Stoner est dans une période de conscience, il entend et comprend avant même d'avoir vu : ce ne sont pas des voix d'Américains. Ce qui va entrer par la porte de la cabane, c'est à nouveau la mort ! Un groupe de soldats vietnamiens interrogent la vieille femme, la brutalisent. Deux d'entre eux pénètrent dans la cabane. La vue d'un soldat américain à demi-mort leur fait penser que la vieille femme le cache et le soigne. Ils l'exécutent aussitôt à coups de poignard ou de baïonnette, il ne se rend pas bien compte. Le corps de la vieille femme est traîné l'intérieur de la cabane. Abel Stoner le voit à un mètre de lui, comme il voit se lever au-dessus de lui une lame effilée. Tout va très vite, il ne ressent même pas la douleur de cette nouvelle blessure. Le voici mort à nouveau. En fait, il semble qu'Abel Stoner ait la rare faculté de paraître mort aux yeux des autres, alors qu?il ne l'est pas... Quand il se réveille, il est à nouveau seul. Car il se réveille ! Dans un état pratiquement inchangé, si ce n'est une blessure ouverte en pleine poitrine, probablement un poumon perforé, mais un c?ur intact. Il croit se souvenir de s'être réveillé à deux ou trois reprises. En tout cas, il prend conscience de sa nouvelle situation : la cabane désertée le cadavre de cette vieille femme à un mètre de lui. Et une idée fixe lui vient : se lever à tout prix. Tant qu'une présence vivante, même immobile, le soutenait, il ne pensait pas à se lever. Certes, il n'en avait pas la force. Mais, surtout, il y avait quelqu?un. Inconsciemment, tant qu'il y a quelqu'un, on attend de ce quelqu'un qu'il prenne des responsabilités, qu'il fasse quelque chose. Même si la vieille femme ne faisait rien ? et elle ne faisait rien? Abel Stoner comptait sur elle, parce qu'elle était en vie, tout simplement. Maintenant il n?y a plus rien de vivant dans cette cabane, à part lui et les mouches. Alors il voudrait se lever, sortir de là. Et puis c'est à nouveau le grand trou noir, un trou immense, gigantesque, sans début ni fin, dont Abel ne sait même pas qu'il dure depuis une semaine. Pendant ce temps, l'administration de l?armée a fait son devoir. Elle a prévenu qu'Abel Stoner était mort trois semaines plus tôt, le 25 juillet 1962, mort en héros, bien sûr. Abel est seul à savoir qu'il est plus difficile de survivre que de mourir en héros. Il arrive un moment où il se réveille vraiment, complètement, avec un sentiment de lucidité extraordinaire. Il ne sent plus son corps, plus rien ne lui fait mal. Il réfléchit. L'idée est toujours là. Une semaine de coma ne l'a pas entamé. Il faut se lever ! Et d'abord bouger. Un bras d'abord, pour essayer de saisir quelque chose, un point d'appui. (à suivre...)