Déploiement n De la Grande-Poste jusqu'au moindre petit quartier, les bouquinistes sont partout. Installant leurs livres sur des nattes ; ils aspirent, chaque jour, à une fin heureuse de leurs journées harassantes. En ce moment, ils sont rassemblés à rue Arezki-Hamani (ex-Charras), fuyant la «persécution» des autorités qui les ont chassés de la Grande-Poste. «Auparavant, nous étions installés à la Grande-Poste, mais un jour les policiers sont venus et nous ont chassés», explique une jeune bouquiniste. Son voisin ajoute : «Au début c'était bien, nous travaillions avec une autorisation, puis l'APC a décidé de nous déplacer vers le square Port-Saïd. Mais la majorité refusa cet endroit prétextant l'éloignement. Les policiers nous ont alors chassés.» Actuellement quelques caciques refusent de partir de la Grande-Poste. Les après-midi, ils s'installent en douce, quelques livres sont proposés à la vente, mais «nous ne ramenons pas tous nos livres de peur de la saisie», confie l'un d'eux qui a refusé de nous donner son nom. Sur la natte, des livres d'histoire et de physique. Le vendeur, barbu, est aux aguets : «J'ai peur qu'on vienne me saisir la marchandise.» Un dealer serait plus calme. Raisons de son inquiétude : il a perdu beaucoup d'argent, sa marchandise ayant été saisie à plusieurs reprises. «Mes pertes sont évaluées à 12 millions de centimes», dit-il. Pourchassés, la plupart d'entre eux trouvent refuge dans la rue Arezki-Hamani ; chacun est installé comme il peut, sur le trottoir, sur les escaliers, à côté des magasins. Ils sont huit vendeurs. Ici, ils semblent bénéficier d'une relative quiétude. A côté du café des sourds-muets, l'escalier donnant sur la rue Didouche-Mourad est transformé en boutique à ciel ouvert. Les livres sont posés soigneusement sur la moitié des marches formant des étagères improvisées. Livres traitant de la religion et ouvrages de Lénine sont exposés côte à côte, le livre est le symbole de la tolérance ! En bas de l'escalier, quelques clients prospectent. Parfois, une main curieuse caresse la surface du livre, puis parcourt certaines pages ; entre-temps, le visage du client change d'expression ; il est captivé par une phrase, un auteur… Le cœur suggère l'achat, la raison, pour des contraintes pécuniaires, en décide autrement ; le client s'éloigne accompagné d'une page de regrets. Un autre client, en revanche, semble décidé à passer à l'acte douloureux d'acheter le livre que ses mains n'arrivent plus à lâcher. Les bouquinistes rivalisent d'astuce pour se concurrencer déloyalement. «Il y a des collègues qui viennent m'acheter régulièrement des livres pour les revendre plus cher», dit l'un d'eux, mais plus grave encore, «ils choisissent les meilleurs livres, pour ne rien me laisser». Car, c'est connu, dans ce domaine, le bouquiniste se fait un «nom» grâce aux livres qu'il propose. «Les clients viendront régulièrement chez toi s'ils savent que tu ramènes de bons livres à bon prix.» Cependant, il faut le dire, plusieurs bouquinistes semblent ne rien comprendre à ce métier, ils posent quelques livres dépassés, quelques revues, au fil du temps, plus personne ne s'arrête chez eux.