Les outils étaient abandonnés par terre, le camp en désordre et les anciens amis se regardaient en chiens de faïence. Les compagnons, maintenant rivaux, n?avaient pas remarqué l?absence de Fleur d?oranger : cette dernière, trop malheureuse d?avoir suscité tant d?animosité, s?était éloignée furtivement. Après bien des heures de maintes et maintes chicanes, les trois hommes s?aperçurent que l?objet de leur discorde avait disparu. «Elle a dû prendre la route pour aller vers la capitale !», suggéra le tailleur. Ils se précipitèrent tous les trois à la poursuite de la belle. Après plusieurs heures de vaines recherches, les compagnons revinrent sur leurs pas. Quand les trois amis arrivèrent au camp, tristes et abattus, le soleil venait juste de se retirer derrière les montagnes, le ciel et la mer, au loin, en étaient encore tout roses. A la place même où la veille ils avaient vu la première fois le vieil oranger, les trois compagnons aperçurent Fleur d?oranger debout et immobile. Elle les regardait encore tristement. Quand le soleil cessa de l?éclairer, alors elle reprit progressivement sa rigidité de statue. Le magicien s?assit : il avait compris qu?il avait perdu la partie ! A présent, les riches vêtements de la belle inconnue, craquaient de toute part car le bois reprenait sa forme initiale. Le tailleur se laissa tomber lourdement à terre, il voyait qu?il perdait aussi la mise ! Maintenant, l?oranger tendait, à nouveau, ses deux vieilles branches et le sculpteur se laissa choir près de ses deux amis, plus désespéré qu?eux. La pénombre avait peu à peu envahi le verger. Les orangers en fleurs avaient beau embaumer l?air de leur parfum subtil, les trois hommes restaient comme pétrifiés. Ils s?allongèrent et tirèrent à eux leur couverture qu?ils n?avaient pas pliée ce matin-là. Le feu qu ils n?avaient pas éteint brûlait encore timidement. Ils restèrent de longues heures, à la lueur des flammes, à fixer le vieil oranger. Peu à peu de ses ailes puissantes, le sommeil les enveloppa. A l?aube, les trois compagnons se réveillèrent ; le ciel était serein et la brise avait encore charrié mille senteurs ; mais un silence gênant pesait sur le camp. Personne n?osa parler des événements de la veille : N?avaient-ils pas simplement rêvé ? Depuis ce jour-là, sur les belles routes d?Algérie, on pouvait voir trois amis d?enfance, inséparables, artisans de leur état, voyageant pour exercer leur métier. Mais dans chaque ville où ils arrivaient, chacun d?eux, des yeux cherchait en secret le visage adulé de Fleur d?oranger. Notre histoire au loin s?en est allée rouler ! Que Dieu nous donne longue vie et santé !