Timing n Le chrono enregistre exactement 11 minutes 33 secondes. Pour un étranger aux lieux, seule compte l'envie de redescendre au plus vite et jurer de ne plus y remettre les pieds. L'ascenseur, où les araignées ont allègrement et en toute quiétude tissé leur toile, est à l'arrêt depuis des lustres. pour épargner au cœur des battements de trop et aux talons des ecchymoses, on pensera alors tout de suite à glisser sur la rampe des escaliers, histoire de faire vite, sans se soucier de l'usure du pantalon au niveau des fesses. Sur le plat, ce serait, peut-être, l'équivalent d'un 3 000 mètres steeple aux jeux Olympiques. En face de la télé, ce serait le temps de connaître tous les personnages clés d'un thriller où, du moins, avoir une idée sur une partie de la trame. Akli R. n'est ni adepte d'athlétisme ni un féru de thrillers, mais la cinquantaine à peine entamée, il met plus de dix minutes pour sortir de chez lui. Dix minutes pour que le cadet de ses enfants, Anis, quatre ans, non encore scolarisé, puisse reconnaître, du haut du balcon, le bout de la calvitie de son papa et le saluer en guise d'au revoir. Akli habite La Cila, le grand immeuble de Leveilley (actuel Makkaria dans la commune d'Hussein-Dey), le plus haut du tout-Alger. Là, et pour ne pas finir «cardiaque», il n'est pas conseillé de faire comme les champions des pistes. La résignation a cédé depuis longtemps la place à l'habitude. «Chaque jour, je m'habitue un peu plus. Puisse Dieu me préserver les jambes», prie-t-il, en bombant le torse. Les jambes et le liquide synovial dans les articulations, c'est ce dont on a grandement besoin. Entre chez soi et l'extérieur, il ne suffit pas uniquement d'ouvrir et de fermer la porte. Mais Akli reconnaît, tout de même, qu'il est préférable de descendre 1 000 marches plutôt que d'en escalader 400. «Ce n'est pas du tout la même chose. C'est très pénible ! c'est pour cette raison que je prends toutes mes dispositions en rentrant le soir à la maison. J'achète tout à la fois : le pain, l'huile, les fruits et les légumes, tout, pratiquement tout..., même la recharge du téléphone portable. Je vérifie tout le temps les barres de la batterie et aussi l'état du crédit. Avant de monter au seizième, je téléphone à ma femme ou à ma fille pour savoir s'il ne manque rien», raconte-t-il en sortant de sa besace quelques friandises achetées pour son rejeton et commandées sans doute par… téléphone. Akli a beau essayer de prendre ses précautions, mais dans la vie, il y a toujours des imprévus, comme une urgence à l'hôpital, un mariage au troisième ou au quatrième étage, autrement dit des centaines de mètres supplémentaires à «consommer» et aussi, il faut dire que tout père de famille – aussi bon soit-il – n'est pas «conçu» pour descendre les marches la matinée et les remonter péniblement le soir. Question d'habitude, il ne s'obstine pas à voir en cette vie en hauteur une malédiction en soi. Seulement ce qui le tracasse, lui qui habite «sur le toit du monde», c'est le fait que durant les fêtes et les «maoussims», c'est lui et sa petite famille qui sont obligés de descendre les 400 marches, car ils ont l'habitude de le faire chaque jour alors que les autres ne sont pas habitués à les monter…