Le nouveau garçon d'écurie ne s'est pas réveillé et, comme un adolescent qu'il est encore, ou presque, il risque de dormir jusqu'à midi. Bohannon enfile son Levis, chausse ses bottes, passe une chemise, enjambe l'appui de la fenêtre pour sortir sur la longue véranda du ranch et se dirige vers l'écurie, dont les lignes basses et nettes se détachent sur le fond gris du paysage montagneux qui paraît encore endormi. Les chevaux, impatients, s'agitent, grognent, soufflent des naseaux derrière les portes closes de leurs box. «Buck ? Seashell ? Géranium ?» Il appelle chacun par son nom en passant. Il y a là ses propres chevaux, et ceux que lui laissent en pension des gens de la petite ville de Madrone, au fond de cet étroit canyon proche de l'océan. Parvenu devant la porte de la sellerie, il frappe du poing les planches de bois délavé. «Kelly ? C'est l'heure !» Pas de réaction. Il frappe à nouveau. Silence. Il soulève la langue de métal qui sert de loquet, pousse la porte, tend le cou. «Kelly ? Réveille-toi !» Mais on dirait qu'il n'y a personne dans le lit de camp. Il entre. Personne, en effet. Pourtant les draps entortillés, les couvertures à moitié jetées par terre attestent qu'on y a dormi, et profondément. Il parcourt du regard la pièce que la lumière faiblarde du petit matin, entrant par l'unique fenêtre, éclaire à peine. Aux murs, deux dessins de chevaux de George Stubbs (n'y en avait-il pas trois ?). Pas de bottes sous le petit lit de fer. Il ouvre les tiroirs de la commode en bois brut. Rien. Pas de vêtements dans le placard. Il ferme les yeux et lâche un juron. Encore un qui s'en est allé. Il retourne sur la galerie couverte qui longe le bâtiment et ouvre au passage la partie supérieure des portes. Il avance sans se retourner, mais il sait que des têtes sortent des box pour le suivre des yeux. Des sabots raclent le sol, d'impatience et d'espoir. A la dernière stalle, il ouvre complètement la porte, saisit la bride de Buck et le fait sortir. Puis il enroule les rênes autour d'un poteau et entre dans le bâtiment pour prendre sa selle. — Viens, dit-il, en jetant la couverture et la selle sur le dos de Buck. Toi et moi, on va commencer par une balade, aujourd'hui. (Il grogne, en se penchant pour sangler la sous-ventrière. Buck grogne, lui aussi. Bohannon met le pied à l'étrier et se hisse lourdement.) Une grande et belle balade. (Il enfonce les talons dans les larges flancs de Buck et ils se mettent en route sur le gravier, tandis que le vent fait bruire les branches au-dessus d'eux.) Et puis, tiens, peut-être qu'on ne fera rien d'autre que de se balader ! Buck se dirige vers le portail, surmonté d'une arche sur laquelle se lit le nom de BOHANNON en lettres découpées dans le bois. — Peut-être qu'on ne reviendra jamais ! Il se penche sur sa selle pour dénouer la corde qui retient le vantail gauche puis, quand ils sont passés, se penche à nouveau et tire pour le refermer. L'habitude. Ce matin, il lui serait bien égal que quelqu'un entre dans la maison pour voler les chevaux et tout le reste. Ce serait un service à lui rendre. (à suivre...)