Préférence n On dit très souvent que bien manger est le début du bonheur. Il faut croire que ce bonheur, les Algériens ne le trouvent que dans la viande de mouton, presque exclusivement. La viande bovine, par exemple, n'est pas totalement ancrée dans nos habitudes culinaires, pas plus que le poisson, spécialement dans les régions du sud du pays et des Hauts-Plateaux. La viande de mouton reste donc la chair préférée de tous les Algériens. A tel point d'ailleurs qu'elle est associée à tous les événements importants de la vie. Il n'y a pas une naissance, sauf cas de force majeure, sans que l'heureux papa égorge un mouton pour fêter dignement l'arrivée d'un nouveau mouflet au foyer. Du reste, tous les voisins et toute la famille sont conviés à la cérémonie qui est célébrée comme le plus touchant des événements. Dans certains milieux aisés, on sacrifie un deuxième mouton, au septième jour de la naissance du nourrisson. Il n'y a pas un mariage où des bêtes ne sont pas immolées. Le sang doit nécessairement couler. Pour la vox populi, plus il y a de bêtes égorgées pour les épousailles, et plus les familles sont considérées comme riches et à l'abri du besoin. Dans certaines unions de famille, on a compté parfois jusqu'à 12 moutons. Les cérémonies mortuaires aussi réclament leur «part» de sacrifice. Contrairement aux autres cérémonies, ce sont les voisins et surtout la belle-famille du défunt qui pourvoient les invités en viande fraîchement dépecée. C'est une forme de solidarité de compassion que l'on apporte aux proches du disparu afin d'alléger leur peine et surtout leur fardeau. Et il y a, bien sûr, les fêtes particulières où la chair de mouton est absolument indispensable, voire obligatoire, indépendamment de l'Aïd el-Adha qui, comme son nom l'indique, est la fête du sacrifice par excellence. Toutes les ouadas qui se déroulent un peu partout à travers nos régions n'ont d'autres soucis que de célébrer la baraka d'un Saint en offrant aux plus démunis d'entre les pauvres un couscous garni de viande de mouton. Il ne viendrait à l'esprit de personne d'organiser ce genre de manifestation en proposant aux convives du couscous garni de poulet. Cela ferait à l'évidence miséreux, pingre et de toute façon pas très bon pour la réputation de la dachra où les langues des habitants ne sont jamais dans leurs poches. Il ne viendrait à l'esprit de personne non plus d'égorger aujourd'hui un mouton pour recevoir ses invités à la maison. Au prix où sont les bêtes, comme nous le verrons plus loin, c'est la faillite assurée pour la famille hôte. Et pourtant, il n'y a pas si longtemps, une fois encore dans les années 1950, dans les hautes plaines du Sersou, dans le djebel Nador, il était de bon ton, lorsqu'un invité important arrivait, d'égorger un agneau. C'était une marque de respect et de considération spéciale que l'on portait au convive. Cette sympathique tradition n'avait cours qu'au sud du pays, rarement au Nord où la personnalité de marque avait droit, en revanche, aux plats les plus fins que pouvait cuisiner la maîtresse de maison. Au Nord ou au Sud, le mouton reste avant tout un présent, le plus digne que l'on puisse offrir ou recevoir de nos jours.