Nous n'avons nulle intention dans ce dossier (et encore moins la prétention) de décortiquer et d'analyser les causes profondes qui ont amené des milliers d'hommes et de femmes et même des enfants à mendier dans les rues, à investir les places publiques pour tendre la main. Nous laissons ce soin aux économistes qui ont de bonnes raisons de croire que ce phénomène est lié à une précarité qui gagne des pans entiers de notre société. Notre souci est de montrer que ce fléau s'adapte parfaitement au mode de vie actuel… Terminé l'archétype de l'aveugle ou de l'éclopé qui officient matin et soir dans le même quartier, parfois à la même place en débitant la même litanie. A force de battre le pavé, certains ont fini par faire partie du décor et du mobilier urbain. Comme ce quinquagénaire qui a demandé l'aumône pendant trente ans à Oran, au niveau des mêmes feux rouges. Les automobilistes se sont tellement habitués à sa présence que le jour de sa disparition, un journal local à grand tirage lui faisait l'honneur de ses colonnes. Ensuite, le phénomène, comme on va le voir, est de moins en moins fixe et de plus en plus mobile. On mendie là où il y a foule. Et pour être sûr que l'opération rapporte, on fait appel non plus à la pitié, comme cela avait cours avant, mais à la solidarité. Cela en général passe mieux et fait vraisemblable. Toutes les difficultés supposées de la vie ont cours pour attirer la sympathie des passants. Et pour mieux les ferrer, on écrit ces «malheurs» sur un bout de carton en français et en arabe pour attirer l'attention. Les motifs sont diverss et variés. Celui-ci réclame une obole pour prendre le train et rentrer chez lui dans une wilaya très éloignée, celui-là, ordonnance à l'appui, prétend qu'il n'a pas un sou pour acheter les médicaments prescrits par le médecin. Cet autre va jusqu'à pleurer à chaudes larmes, quand il ne peut pas faire autrement pour s'allier les bonnes âmes en général sensibles aux déconvenues de leurs semblables. Une femme entre deux âges, munie d'une pancarte à l'écriture approximative, affirmait à qui voulait l'entendre il y a quelques jours, que Sonelgaz lui avait coupé l'électricité pour défaut de paiement et qu'elle vivait depuis deux jours dans le noir. Le coup des enfants mal habillés qu'on exhibe pour montrer l'étendue de sa détresse ne faisant plus recette, des mendiants décidément fin psychologues, utilisent aujourd'hui la dernière «carte» qui reste du registre familial. «La saisie par huissier» pour raison de pension alimentaire non versée. Et le bobard fait mouche à chaque fois. Est-il possible en l'état actuel des choses de faire la différence entre un vrai pauvre dans le besoin et un faux pauvre dont c'est la profession de mendier. La réponse est difficile tant la misère s'est généralisée. Il y a cependant des vrais pauvres parfaitement bien habillés qui cachent leur dénuement par pudeur et qui refusent par fierté de tendre la main pour susciter la pitié. Il y a de vrais pauvres qui n'ont presque rien à se mettre sur la peau et que les nécessités de la vie ont forcé à mendier. Il y a de faux pauvres qui sont à la tête de petites fortunes, qui possèdent même une villa (à Relizane pour ne pas les nommer) et qui pourtant ne peuvent s'empêcher de crier publiquement à la détresse. Il s'avère presque impossible de séparer, dans ce cas de figure, le bon grain de l'ivraie.