Une fois de plus, une fois de trop, le feu et la mort se sont abattus sur Ghaza, ce cloaque de béton et de glaise qui symbolise l'enfer de vivre dans la région maudite des monothéismes. Encore une fois, il s'agit de la destruction d'un peuple prisonnier entre la mer, un mur inexpugnable et d'infranchissables barrages israéliens et, ne pas l'oublier, une frontière avec l'Egypte que son vieux président cadenasse à double tour, tant il redoute, non sans raison, l'influence grandissante du Hamas et de ses alliés Frères Musulmans. Si, dans cette guerre asymétrique, le grand perdant sera comme toujours le peuple palestinien, Israël, protagoniste direct de la guerre, mais aussi l'Egypte, la Jordanie et l'Arabie saoudite recherchent tous un même but : affaiblir considérablement le Hamas qui, lui, vise à discréditer l'Autorité palestinienne afin de mieux s'assurer le contrôle politique de l'ensemble du peuple palestinien. Dans cette nouvelle guerre du pot de fer contre le pot de terre, Israël poursuit une stratégie dont on ne voit pas d'emblée les contours, sauf l'objectif immédiat de faire cesser les tirs de roquettes sur une partie de son territoire et amoindrir, du coup, le mouvement islamiste. Au-delà du vaste consensus national et de la sainte alliance politique au sujet de l'opération «Plomb durci», les chefs de droite comme de gauche, l'état-major de l'armée, ont-ils cru, un seul instant, pouvoir ainsi se débarrasser du Hamas ? La réponse est non, évidemment. Mieux que quiconque, les Israéliens savent à quel point l'organisation islamiste est désormais ancrée au plus profond des cœurs et des consciences des Palestiniens. Dans les écoles, les services sociaux, les mosquées, les commerces, le lien avec le Hamas n'a cessé de se solidifier à Ghaza comme en Cisjordanie alors même que sa victoire démocratique aux législatives lui a été volée. Quel est donc le bénéfice réel attendu par Israël, au terme de cette énième entreprise guerrière ? Sécuriser davantage la population israélienne et anéantir le Hamas. Connaît-on dans l'histoire de l'Etat d'Israël un exemple ayant prouvé par le passé que la méthode du marteau était efficace ? L'opération «Arc-en-ciel» en mai 2004 au Liban, «Jour de pénitence» quatre mois plus tard, au nord de la bande de Ghaza, avec les mêmes macabres bilans, ont été un fiasco militaire et politique. Les assassinats ciblés de dirigeants du Hamas qui s'ensuivirent ont abouti aux attentats suicide qui ont culminé en 2005. Et, dès l'année suivante, le mouvement islamiste obtenait la majorité absolue aux élections législatives, au détriment de son rival le Fatah dont l'incurie, la gabegie et la corruption ont été érigées en mode de gouvernement. Mêmes résultats pour «Remparts de Jénine», au printemps 2002 et, deux mois plus tard, toujours au Liban, pour «Voie ferme». Idem pour l'opération «Raisins de la colère», accompagnée du massacre de Cana, au pays du Cèdre, en 1996. Elle a surtout renforcé le Hezbollah et s'est soldée par le retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud en 2000. Même chose pour la guerre au Liban, en 2006, où Israël a détruit pour rien. Le gain ? L'échange en juillet 2008 de deux dépouilles mortelles de soldats israéliens contre cinq détenus et des dizaines de corps de Libanais et de Palestiniens. Malgré l'avantage écrasant du rapport de force et du soutien de sa propre opinion, on ne gagne pas une guerre, si asymétrique qu'elle soit, contre des lanceurs de roquettes adulés par leur peuple. Evidence qui échappe toujours aux stratèges de l'Etat hébreu, lesquels, sans apprendre rien de l'Histoire, veulent toujours donner une leçon aux Palestiniens. Pis, qui reprennent à leur compte la théorie américaine dite «Shock and Awe», selon laquelle il faut frapper pour faire peur et pas uniquement pour éliminer une menace. Parce qu'actuellement, en Israël, il n'y a pas vraiment de gouvernement disposant d'un leadership suffisant, le contexte préélectoral se prête à toutes les surenchères entre dirigeants politiques qui caressent leur opinion dans le sens du poil en refusant obstinément d'apparaître en chefs mous face au Hamas. Qu'il s'agisse d'Ehoud Barak, de Tzipi Livni ou de Benyamin Netanyahou, aucun de ces politiques de droite, de gauche ou du centre ne voudrait disparaître dans le trou noir de la politique après les législatives de février prochain. D'où la fuite en avant militaire. Dans cette guerre à l'issue opérationnelle improbable, l'adversaire, le Hamas, dont la rupture unilatérale de la trêve et les lancers de roquettes Kassam et Grad sur Sderot et Ashkelon ont servi de prétexte au déclenchement du plan «Plomb durci», ne développe pas pour autant une logique de fuite en avant militaire. Loin s'en faut. En dépit de l'apparent entêtement à rompre la trêve et à lancer en jets continus des roquettes sur le territoire israélien, les dirigeants du Hamas ne sont pas fous pour autant. Ils ne pouvaient s'imaginer un seul instant que leurs tirs allaient rester impunis face à une armée israélienne qui le leur ferait payer au centuple. Espéraient-ils déstabiliser sérieusement l'Etat d'Israël ? Assurément, non. A les observer, on remarque que leur démarche est purement politique, profondément politique. Malgré les demandes de l'Egypte, de l'Arabie saoudite, de la Ligue arabe et de l'Autorité palestinienne, ils ont rompu unilatéralement la trêve et se sont lancés dans une opération échevelée de tirs de roquettes qui sont à Israël ce que des piqûres de guêpes sont à l'éléphant. Le Hamas a persisté dans l'entêtement alors même qu'il savait qu'Israël aurait frappé d'autant plus fort qu'il est soucieux d'effacer l'humiliation de la défaite contre le Hezbollah libanais. A l'évidence, la principale préoccupation du Hamas n'est pas Israël. C'est à Ramallah, capitale de la Cisjordanie et d'une Autorité palestinienne politiquement démonétisée et victime collatérale et expiatoire de «Plomb durci», qu'on trouve l'ennemi, le vrai, et l'objectif politique suprême du Hamas. Par tous les moyens, y compris ceux de la guerre civile, le mouvement islamiste a essayé de renverser Mahmoud Abbas. Enfin, ne pas s'y tromper, c'est en figure du résistant inébranlable qui ne s'est jamais couché devant Israël à coups de concessions et de poignées de main compromettantes et sans contrepartie que le Hamas discrédite Mahmoud Abbas qui n'a rien obtenu de plus que son maintien au pouvoir à la tête d'une Autorité palestinienne sans réelle autorité et qui confond ouverture et capitulation. D'ailleurs, le Hamas ne s'y est pas trompé qui a passé en boucle les images des poignées de main entre Mahmoud Abbas et le Premier ministre israélien Ehud Olmert. Les islamistes du Hamas achèvent bien les chevaux modérés du Fatah. N. K.