La vie ordinaire d'un jeune couple sans problèmes vivant dans la banlieue est d'Alger bascule le jour où Chahra, leur fille adolescente, ne rentre pas à la maison. Au bout d'une attente terrible, le jeune couple fini par apprendre que la petite a été enlevée. L'horreur frappe sans crier gare. L'œuvre de Benmalek, que l'on lit avidement jusqu'à la dernière page, est époustouflante. La succession des évènements est brusque et le dénouement de l'intrigue imprévisible. Le cadre est étouffant, un appartement exigu dans une cité-dortoir, le manque de communication des personnages et les non-dits qui finissent par se muer en silence oppressant. La délivrance n'a qu'un prix : le sang. Les barreaux du mensonge finissent par se briser dans la douleur où les innocents expient souvent les fautes des autres. Les crimes expliquent-ils toujours les châtiments ? Rédemption ou rachat des erreurs ? Les idéologies et convictions s'imbriquent souvent. Follement épris de sa femme, Aziz, le père, biologiste au zoo d'Alger, dont les animaux offrent un modèle d'humanité, va être amené à perdre la sienne en commettant un crime. C'est les autres ou sa fille unique. Le choix est vite fait. Entré en contact avec la famille, un étrange ravisseur menace sa victime des pires atrocités si la police est prévenue. De toute façon, qui aurait envie de mettre en péril la vie de sa progéniture pour rester dans la légalité ? Aziz ne peux compter que sur lui-même. Et sur Mathieu. Le beau-père de sa femme. Ce Français au lourd passé sera-t-il une providence ou l'artisan du malheur ? Pourquoi est-il demeuré en Algérie après l'indépendance ? Qu'a-t-il fait pendant la guerre ? Et quel est ce grand tabou de l'histoire de l'Algérie qui scelle jusqu'à présent toutes les lèvres ? Dans cette œuvre ou l'amour est chassé par la haine ou le passé rattrape le présent pour se faire justice, Anouar Benmalek impose à ses héros le choix entre le mal et le moindre mal. Deux sentiments s'entredéchirent dans les trois grandes parties du roman : la survie ou la conscience. Dans la première Aziz, le héros principal et narrateur, s'exprimant à la première personne, fait vivre aux lecteurs sa descente aux enfers. Dès les premières lignes, suintant de l'angoisse d'un héros condamné à tout perdre, aucune issue possible ne se dessine. La détresse est totale. Le rapt de Chahra agit, l'extirpe du monde de l'ironie dans lequel il se éfugiait. Devenu l'esclave du ravisseur pour sauver sa fille, il découvre que le mal ne réside pas seulement autour de lui mais qu'il est aussi en lui. L'auteur parvient à y décrire l'horreur avec force en décrivant la violence, la peur et le mensonge qui imprégnaient la société algérienne à l'époque des faux barrages, des rapts et des assassinats d'intellectuels. Rien ne s'oublie tout se ressuscite. Un malheur en convoque un autre. Le temps des confessions arrive toujours. C'est ce qui forme l'essentiel de la seconde partie du roman. Mathieu, le beau-père, prend le relais de la narration. Il dévoile son secret. Le passé qui l'a lié à Tahar, le père décédé de Meriem-la femme de Aziz- durant la guerre d'Indépendance. Les aveux ne sont pas toujours faciles à faire. Aussi Mathieu n'a pas le courage de tout dire à son gendre Aziz. Il tente de cacher l'ampleur de ses crimes passés. Et c'est la troisième partie. L'autre personnage mystérieux qui prend le relai. Une autre version de l'Histoire. Il s'attarde sur la torture et sur les mécanismes qui conduisent, de part et d'autre, à tant de cruauté. Entre le «tortionnaire de maquisards» de l'armée française et «le tueur de civils» de l'ALN impliqué dans les massacres de Melouza, cet «horrible règlement de comptes politique», se tisse une étrange correspondance. «Convertis» par l'innocence d'un enfant, torturé ou massacré, qui ranime en eux le souvenir d'un autre enfant sacrifié, ils se ressemblent aussi dans la souffrance et le remord et chercheront tous deux à expier «des fautes plus grandes que leur vie». Une histoire folle. Un délire monstrueux. Un réel cauchemar dont on voudrait se réveiller très vite. Dans un style sobre et mesuré où la compassion supplante l'humour noir dont est édulcorée l'œuvre, l'auteur tente de dire la vérité de cette guerre dans les deux camps, sans jamais condamner ni absoudre les uns comme les autres. Toutes les guerres sont sales. Tout adulte doit le savoir. Dans cette troisième partie du Rapt, l'auteur entretient un suspense «à rallonge», à la manière d'un feuilleton, qui fini par lasser son lecteur à la fin. L'auteur tente une moralisation de l'histoire mais aussi à expliquer la psychologie des tortionnaires. Interrogé sur cette sorte de confusion, l'auteur a expliqué que son intension n'était pas absolument de mettre sur le même pied d'égalité oppresseurs et oppressés. Pour Anouar Benmalek, Le Rapt est un hommage à toutes les victimes de Melouza. Sans avoir peur des mots, il dira «dans certains cas, comme celui de Melouza, cette violence peut être qualifiée, sans excès de langage, de véritable crime de guerre !» Le dire avec force n'est pas trahir les idéaux de liberté pour lesquels se sont battus les moudjahidine, bien au contraire, affirme-t-il. Reconnaitre les erreurs du passé évitera au pays des cruautés comme celles commisses durant la décennie sanglante. «Si, au nom de la libération du pays, le FLN a pu perpétrer un massacre de masse tel que celui de Melouza sans grands dommages pour son image et régner sur l'Algérie pendant aussi longtemps, se sont dit les terroristes algériens, pourquoi Bentalha, Raïs ou Ramka ne nous seraient-ils pas «pardonnés», puisque nous agissons au nom d'un idéal encore plus élevé, en l'occurrence la soumission à Dieu ? De toute façon, observent-ils cyniquement, si nous gagnons la guerre, tout le monde «oubliera», bon gré mal gré, nos «débordements» et nous deviendrons des héros : Mohammedi Saïd, le responsable de la boucherie de Melouza, n'est-il pas considéré comme un modèle de bravoure par l'Algérie officielle ?», s'interroge l'auteur. Même si l'on ne partage pas le raisonnement de l'auteur force est de constater que son œuvre tente de briser un des tabous de la guerre de libération même si c'est à travers un roman. Evoquer Melouza ou la Bleuite permettra d'aborder le passé avec plus de sérénité. Parfois hilarante, d'autres drôles, souvent intrigante l'œuvre d'Anouar Benmalek mérite malgré certaines maladresses, d'être lue. C'est un autre œil sur l'Histoire. Une autre façon de l'aborder. G. H. Le Rapt, Anouar Ben Malek, éditions Sédia, 514 pages