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Kouachi et Coulibaly, terroristes français de France
Au fil des jours
Publié dans La Tribune le 12 - 01 - 2015

Djihadistes surdéterminés, terroristes islamistes affiliés ou pas à Al-Qaïda et à ses démembrements au Moyen-Orient ou au Sahel, ou bien se réclamant ou pas encore de Daech, psychopathes criminels, fous psychotiques, soldats spontanés d'Allah, chouhada exemplaires : les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, tous Français musulmans, sont ou ne sont pas tout cela à la fois, mais qu'importe après tout. Ce sont encore plus la mort qu'ils ont donnée et leur propre mort qui font sens. La mort que ces jeunes ont choisie questionne nécessairement sur la façon de raconter, comprendre et expliquer l'inadmissible. C'est-à-dire l'escalade vers la folie meurtrière qui s'est exprimée dans une certaine perversion psychopathique. Cette violence-là, c'est la force déchaînée d'un terrorisme individuel et le fait d'un terroriste généralement auto-radicalisé, même si, à la base, il y a parfois des gourous rencontrés en chemin. Elle porte en elle une question essentielle : à quel moment un acteur, manipulé ou pas, conscient ou pas, passe-t-il à l'acte destructeur et autodestructeur ? La question générique amène à une question plus spécifique : comment de petites gouapes des cités de banlieue ou de certains quartiers parisiens, qui n'étaient pas des fous d'Allah mais fous de rap hardcore et de raï, férus de bolides et de bastons de rue, amateurs de jolies nanas, consommateurs de joints ne parvenant pas toujours à joindre les deux bouts, ont eu des pulsions mortifères ? Malgré leurs casiers judiciaires surchargés de petits délinquants, le séjour djihadiste de l'un d'eux au Yémen, leur court passé de taulard et une enfance et une adolescence au cours desquelles ils ont empilé des traumas plus tard réactifs, rien pourtant ne destinait Coulibaly et les Kouachi, comme hier Mohamed Merah, au scénario de l'horreur paroxystique en région parisienne. Les témoignages de leurs avocats, de leurs éducateurs sociaux et de leurs copains en attestent. Ces garçons, qui ont eu une scolarité en pointillés, cherchaient tout de même à s'intégrer ou à se réinsérer après chaque délit et chaque larcin. Et même s'ils avaient écouté le Coran en prison sans pour autant le comprendre, ils ne l'avaient pas appris. Tout au plus, comme dans le cas des Kouachi, avait-on trouvé chez eux, à côté de films pornos, des ouvrages tels que «Déviances et incohérences chez les prêcheurs de la décadence» ou encore «Les savants du sultan, paroles de nos prédécesseurs» qui stigmatise le compromis des religieux avec les pouvoirs en place. Au départ, ces trois lascars salafisés n'avaient rien d'islamistes radicaux, même pas de salafistes spirituels, malgré la fréquentation de salafistes purs et durs comme Djamel Beghal en prison ou Farid Benyettou en dehors. Leurs proches disent qu'ils n'avaient jamais montré quelque penchant pour la martyrophilie. En perte croissante de repères, subissant eux-mêmes des violences et infligeant d'autres violences à autrui, ils sont devenus les objets d'un mouvement de déliaison dont la névrose de guerre est l'exutoire. La violence de la société discriminante, celles de la rue, des milieux délinquants et du monde carcéral créent la haine de soi. Feu de l'enfer, la haine de soi se transforme fatalement en haine de l'Autre, alimentée souvent par le mépris de l'Autre à l'égard de l'Autre qui est soi-même. Dans le cas de Merah, des Kouachi et de Coulibaly, comme de bien d'autres jeunes désorientés de leur condition sociale, l'Autre, c'est le Français gaulois, l'Européen, le Blanc, quand ce n'est pas le Juif. Dis-moi qui tu hais, je te dirai qui tu es, et inversement. C'est pourquoi Merah, Coulibaly, les frères Kouachi et Mehdi Nemmouche semblaient être dans une fermeture paranoïaque, à l'image de tant de jeunes des banlieues communautarisées. Des recalés, des déclassés et des reclus dans la marge qui n'ont plus rien pour eux et qui n'ont plus peur de rien et de personne. Et lorsqu'il n'y a plus rien, ni modèle politique, ni utopie, ni solution, donc quand les représentations du possible s'arrêtent, on explose ! Bruno Etienne, l'émérite sociologue, éminent spécialiste de l'Islam et de l'anthropologie du fait religieux, l'a bien expliqué dans Les Amants de l'apocalypse. Comprendre, toujours comprendre, ce qui ne veut pas dire amnistier. Parmi les victimes de Charlie Hebdo tués de sang-froid et qui étaient musulmans et d'origine maghrébine comme les frères Kouachi, c'est l'islam de France qu'ils récusent et qui est ainsi symbolisé. Les otages tués par Coulibaly au supermarché hallal de Vincennes symbolisaient à ses yeux un Etat juif confessionnel qui humilie les Palestiniens. Dans le cas de ces tueurs et candidats au martyrologe djihadiste, la folie meurtrière n'exclut donc pas le sens. Quoique plus spectaculaire, plus médiatique, mais tout aussi dramatique, le cas de ces terroristes français, nés, formés et radicalisés en France, rappelle celui d'un autre Français, Khaled Kelkal, impliqué dans les attentats de 1995 à Paris. Ces exemples rappellent tant d'autres en Algérie. Dans l'engrenage infernal de la déferlante terroriste des années 1990, les amants de l'apocalypse étaient, eux aussi, des paumés du petit matin qui déchante tous les jours. Qu'importent alors leurs noms car ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers à être, d'une autre façon, dans un autre contexte, des Kouachi. Désaxés, parfois illuminés, qui ont donné une mort qu'ils croyaient sanctificatrice mais dont ils ne comprenaient finalement pas le sens. Hélas, l'irréparable est toujours à l'œuvre ! Il le sera encore plus, demain, si la déréliction des musstadh'âfine, de tous les déprivés de là-bas, d'ici et d'ailleurs, serait le carburant le plus puissant du désespoir meurtrier. Sur ce registre mortifère, la France n'a pas fini de souffrir.
N. K.

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