Chaque jour ouvrable que Dieu fait, des millions de citoyens se réveillent le matin pour aller vaquer à leur activité. Les uns pour rejoindre leur travail, les autres pour le lieu des études ou de l'apprentissage, d'autres aussi pour les divers besoins d'intimité domestique, comme partir faire le marché, se rendre chez le médecin, visiter les proches ou pour tout autre aléa familial ou professionnel. La majorité prend le transport en commun. C'est-à-dire qu'on a besoin du service du car ou du minibus. Pour un regard étranger qui imagine un pays de 40 millions d'habitants, qui possède la plus grande superficie continentale et situé sur un périmètre de plus de 1 600 kilomètres sur la méditerranée, qui détient un PIB du ressort d'un pays assez bien industrialisé et correctement civilisé, cette affaire du transport en commun de la vie courante ne laisse en principe pas imaginer un problème sensible particulier, surtout si cet œil a remarqué que ce pays détient des réserves de change à faire rêver de grandes puissances occidentales. Mais qu'il se rend compte surtout que dans les catégories de sa population il existe des franges intéressantes qui possèdent la connaissance et le savoir, qu'il y a des citoyens résidents, capables d'extraordinaires savoir-faire, dans un domaine ou un autre, utiles pour le progrès dans l'avancement, dans la gestion du transport pour ce qui nous concerne. Malheureusement, s'il advient que les yeux de cet étranger s'ouvrent sur la réalité de cette question, qu'il aille à l'usage du transport, dans le monde citadin surtout, dans les daïras et communes de la ville, eh bien, il sera édifié sur ce qui est des plus inconséquents et sordides dans ce secteur-clé de la pratique sociale. Les colonnes de la presse, à l'époque où l'Etat s'apprêtait à céder le transport public urbain au privé, vers la moitié des années quatre-vingt, avertissaient sur l'intérêt de prendre très au sérieux ce volet du service public et de mener cette opération de «redéploiement» - mais qui était de sauvetage à la vérité - avec beaucoup de discernement. Les responsables du transport, au niveau de la tutelle ou dans les structures locales, arguaient principalement sur la situation d'urgence, où il ne fallait rater aucune place roulante à investir. On disait, alors, dans le siège du ministère du Transport, tel un slogan grave et hâté, «Il faut faire bouger les choses !» Histoire d'insinuer – et que le citoyen comprenne et, par conséquent, ne s'étonne pas des conséquences - l'urgence de faire transporter les citoyens dans tout ce qui tombe sous la main. Le secteur public venait de démontrer sa faillite, malgré les innombrables tentatives de réaménagement dans la formule gestionnaire, le recyclage des personnels et l'apport de matériels nouveaux, en véhicules et accessoires. Pour les générations qui se rappellent, la structure de la Rsta, transformée en Etusa, à l'orée de l'an 2000 et l'occupation de toutes les agglomérations par le privé, rendait quasiment dingue l'ensemble des usagers de la ville et de sa périphérie. Elle provoquait une sorte de hantise générale pour les adultes. Le nombre de véhicules alloués à la capitale à cette époque ne couvrait pas les lignes inscrites officiellement dans les circuits. De sorte que n'importe quel véhicule, saisi au hasard, en mouvement était bondé et escaladait avec peine les montées, et ce n'est pas le relief du dénivellement qui manque dans la capitale. Sans revenir sur les détails de l'incompétence de cette entreprise, à l'époque de la Rsta, avec moins de 400 autobus pour 1,5 million d'habitants, qui a fait de son mieux selon les moyens à sa portée, disons que l'Etat, depuis l'indépendance, a considéré la question du transport dans la ville selon le schéma colonial, dans l'espace immuable du tracé des agglomérations défini, propice à un nombre déterminé d'usagers. Seulement la population a explosé, les personnes en âge de travailler ou d'aller aux occupations obligées, ont doublé, voire triplé et les structures du transport n'ont pas pris le même ordre de grandeur. Une institution noble Donc les autorités en charge ont prôné la nécessité de l'urgence et elles ont ouvert la vanne de cette aventure désastreuse que le citoyen endure à longueur de journée. Quand on parle de transport public aujourd'hui la référence est le véhicule du particulier. Sous toutes les formes, modèles, marques, états, longévités et couleurs. Les autocars et les minibus du privé occupent plus de 80% de la fonction du transport dans la ville algérienne est ses extensions. Autrement dit le particulier règne sur le destin du mouvement citoyen. Il ne pratique pas la loi, il fait mieux, il a inventé une loi et il faut que l'usager et les autorités s'y alignent. Lorsque l'Etat délivre l'agrément et autorise à l'exercice il n'a pas pris en considération les remarques citées plus haut, à propos de «discernement», c'est-à-dire d'éviter la pratique solitaire. A travers laquelle quiconque peut accéder au marché du transport en commun. À la méthode ancestrale où les aïeux louaient les services du mulet pour tel ou tel usage au profit du riverain – encore que dans les temps de jadis, les anciens élevaient des bêtes de somme en nombre pour en faire une sorte de compagnie de location. Les dizaines de milliers de «transporteurs» qui sillonnent les chaussées de la cité constituent, depuis l'aurore jusqu'au crépuscule – et ils ordonnancent de ne pas aller au-delà comme expressément pour augmenter l'angoisse chez les populations féminines – une authentique république de la débandade. Difficile pour l'usager de savoir par où commencer pour énumérer les aberrations. La nature du véhicule, pour ouvrir le carnet de doléances, laisse souvent pantois, sur le plan de la santé et de la sécurité. Les véhicules sont sales, le moindre petit courant d'air envoie dans les poumons des usagers de la poussière viciée accumulée depuis des semaines, tandis que les éléments d'installation chargés d'accueillir les passagers mettent dans la gêne et en péril les corps. La ferraille est à fleur de peau, la rouille visible, sans compter le système des ouvertures qui fait souvent défaut, tantôt il n'y a pas de rideau aux vitres – ou des vitres qui manquent – tantôt les portières ne ferment qu'avec l'aide des usagers ou de l'extérieur, que les «poirauteurs» dans l'arrêt doivent manipuler. Les personnels sont généralement très jeunes, mais il faut bien le dire, s'ils ne sont pas chouia mal élevés, au moins ils sont malpolis, agressifs, et parfois carrément inconscients. Ils pratiquent le «métier» en se passant le mot d'ordre, d'un véhicule à l'autre – il existe rarement des pratiquants possédant deux ou plusieurs véhicules – de faire tout pour esquinter le bien-être de l'usager. Le conducteur est tout le temps nerveux, capable de s'arrêter pour sortir se battre pour une histoire de priorité ou de stationnement. Pendant que le receveur – qui peut avoir juste seize ans – se frotte à tous les usagers – et usagères debout ou assises côté passage - pour encaisser et se permettre de mépriser ceux ou celles qui exigent leur monnaie. Ou encore le vacarme incessant pour le lancement des destinations, alors que les écriteaux mentionnent clairement sur le pare-brise des véhicules. Plus absurde, lorsqu'il n'y a qu'une destination possible – par exemple de Chevalley vers le haut, où on ne peut se rendre qu'à Bouzaréah et les receveurs s'égosillent pour l'annoncer. Mais alors à l'arrêt le privé est implacable. S'il n'y a pas d'agent de police – spécialement chargé de veiller au respect du temps d'arrêt – le citoyen ne gagne rien en échange en sacrifiant dans les temps de sortie de la maison ou du boulot. C'est le personnel du véhicule transporteur qui décide, même si les passagers à l'intérieur s'agitent et manifestent avec véhémence leur mécontentement. Et puis pour les descentes, il faut avoir l'ouïe fine pour entendre les demandes annoncées, car le conducteur n'aime pas perdre du temps inutilement en se mettant réglementairement à l'arrêt indiqué officiellement – mais curieusement les personnel de l'Etusa, depuis un certain temps, sur ce point, est en train de faire la même chose, alors que le pauvre citoyen crédule a estimé que c'est sur le modèle de l'organisation du secteur public que doivent s'identifier les praticiens du particulier. En un mot, pour terminer, parce qu'il s'agit-là de la dignité du citoyen, ce «système» ne doit plus continuer de la sorte. Il faut que les autorités agissent et reprennent les choses en main. Les citoyens ont des timings à prendre en charge et le respect de leur personne à préserver. En tout cas les moyens existent, les compétences aussi, l'Ansej ou l'aide de l'Etat est fort louable, mais ce n'est pas dans ce grave volet du service public qu'elle ait à «mesquinement» jouer, comme dans le cas du taxiphone ou du cybercafé, avec tout le respect dû à ces deux activités. Il y va du bien-fondé d'une procédure privilégiée dans l'existence d'une communauté : ses déplacements pour que la société fonctionne dans l'harmonie et le bien-être pour tout le monde. C'es-à-dire que le transport, dans l'esprit et dans la lettre doit demeurer une institution, saine, très loin de la notion de gang. Que le transport privé deviendra carrément demain si l'Etat ne met pas le frein. N. B.