De notre envoyée spéciale à Guelma Karima Mokrani L'homme accuse l'administration de faillir à sa mission. «L'administration est absente. Personne ne contrôle, personne ne sanctionne.» Un autre déplore : «Les malades sont souvent transférés à Annaba. L'hôpital de Guelma n'est qu'un lieu de transit.» Les deux hommes ne sont pas les seuls à prononcer des mots durs sur cet hôpital, le seul dans toute la wilaya de Guelma. Beaucoup affirment souhaiter ne jamais avoir affaire à ses médecins, encore moins faire la queue dans le service des urgences ou un autre. «C'est le laisser-aller total ! Le médecin vient un jour et s'absente un autre. On te fait une ordonnance sans teconsulter. Et même pour les soins d'urgence, il n'y a pas de médicaments», se plaint un enseignant. Ce dernier affirme que le problème pour lequel il est venu se soigner, il y a quelques mois, «était pourtant minime». «Je suis parti pour une entorse à la cheville, on m'a mis un plâtre, alors que ce n'était pas ce qu'il me fallait. Le placement du plâtre a accentué mes douleurs. J'ai dû suivre un traitement de plusieurs mois chez un médecin privé pour éviter les complications», raconte-t-il. Une jeune fille ayant la malchance de souffrir de douleurs abdominales –pour cause d'une intoxication alimentaire- au moment même où elle se préparait à se rendre à son lieu de travail, exprime son étonnement : «Ils ne m'ont rien donné pour soulager ma douleur. Il n'y avait plus de médicaments. Ils disent que tout a été consommé la nuit…». La jeune fille a dû attendre que son frère achète les médicaments prescrits par le médecin de garde –sans même que ce dernier la consulte- pour se sentir délivrée. «Rien ne va dans cet hôpital. Ecrivez tout ce qui est négatif», lance, le visage consterné, un ancien employé de l'établissement. L'homme semble en avoir gros sur le cœur mais n'en dit pas plus. La structure laisse à désirer. C'est un chantier en plein air. Murs décrépis, les portes rouillées, sol en mauvais état…l'établissement manque d'air. Toute la bâtisse doit être refaite à neuf ! L'indignation des habitants est d'autant plus grande que les femmes qui s'y rendent pour des accouchements sont souvent transférées à Annaba. «Elles viennent donner la vie, elles risquent de perdre la leur», se plaint, sur un ton désespéré, une vieille femme. Mais pourquoi donc envoyer ces femmes à Annaba ? La raison n'en est pas la surcharge du service maternité. Les femmes de Guelma n'enfantent pas plus que celles de Annaba ou d'ailleurs. Le grand problème réside dans le manque de médecins spécialistes. Les gynécologues en particulier. «L'hôpital Okbi n'a aucun médecin gynécologue», s'indignent des citoyens. «Ils les envoient à Annaba parce qu'ils ne peuvent pas s'en occuper ici à Guelma. Il y a des cas graves que les médecins généralistes ne peuvent pas prendre en charge ici», affirment deux infirmiers. SOS, l'hôpital est sans spécialistes! Les médecins spécialistes qui passent par l'hôpital «Pr Okbi» de Guelma ne reste pas. Juste le temps, pour la plupart d'entre eux, de finir leur service national. Ce sont des habitants de Guelma qui le disent. «Et quel service!» déplorent-ils. «Je connais un médecin qui est resté presque une année sans venir à l'hôpital. Et personne ne lui a jamais demandé des comptes» raconte un homme, visiblement au fait des problèmes de cet établissement de santé. Indigné par cette situation, il charge l'administration : «qui devait contrôler ces agissements ? N'est-ce pas l'administration ? C'est celle-ci qui est responsable de toute l'anarchie et de tous les maux qui rongent tout l'hôpital». Notre interlocuteur regrette le départ des médecins chinois : « Lorsqu'ils étaient là, l'hôpital marchait très bien mais ils ont dû quitter le pays, au début des années 1990, à cause du terrorisme. Ils ne sont pas revenus depuis…». D'autres affirment que les médecins spécialistes affectés à Guelma finissent souvent par ouvrir des cabinets à leur compte ou aller dans des cliniques privées dans d'autres wilayas. «Mais c'est normal ! Il n'y a rien qui les motive ici. Ni les conditions de travail, ni le salaire…» poursuivent certains comme pour justifier la fuite de ces médecins, tout en regrettant cet état de fait. Et un chauffeur de taxi d'attirer l'attention sur le nombre croissant des accidents de la circulation qui surviennent sur l'axe Constantine-Annaba-Constantine, en plus des chutes d'arbres…et autres accidents domestiques. «Une grande partie de ces accidentés sont évacués, en urgence, à l'hôpital de Guelma, alors qu'il n'y a même pas un médecin orthopédiste…Et comme c'est le cas pour les femmes qui s'y rendent pour des accouchements, l'hôpital de Guelma envoie systématiquement ces malades [victimes des accidents de la circulation ou des accidents domestiques, ndlr] vers celui d'Annaba. Imaginez la pression que cela engendre dans les services des urgences de l'hôpital d' Annaba!» dit-t-il. Allant dans le même sens, son ami évoque les difficultés de prise en charge dans les deux hôpitaux : «A Guelma, les infirmiers se démènent comme il peuvent sans pouvoir faire quelque chose et à Annaba, c'est la surcharge. Il n'y a pas que les gens de Guelma qui se soignent à Annaba. Il y en a aussi d'El Tarf, de Souk Ahras, etc. C'est pour cela que la prise en charge de ces malades est médiocre aussi à Annaba». Les médecins spécialistes manquent donc cruellement à l'hôpital de Guelma. Tous l'affirment, y compris le personnel de l'administration. «Nous avons signalé le problème au ministère de tutelle mais rien à faire. Aucune réponse…Le problème nous dépasse», affirme, résigné, un homme proche des services de l'administration. Le ministère de tutelle interpellé Depuis quelques mois, des équipements tout neufs arrivent dans l'hôpital «Pr Okbi» : un scanner, un doppler, un nouveau matériel de laboratoire…et d'autres machines. L'installation progressive de ces moyens matériels commence à faire renaître la confiance dans l'établissement. «L'hôpital les a acquis dans le cadre du programme sectoriel de la wilaya. Nous avons un laboratoire qui fait tous les paramètres, une unité de scanographie qui répond à toutes les exigences, un appareil de radiologie tout neuf…et d'autres équipements de haute technologie», affirme un employé de cet hôpital. Ce dernier estime toutefois que ce n'est pas le manque de moyens matériels qui handicape l'activité hospitalière, dans cette wilaya de l'est du pays, mais l'absence de médecins spécialistes : «Le problème de l'hôpital Okbi ne réside pas dans le manque de moyens matériels. C'est l'absence des médecins spécialistes qui nous pénalise. Depuis le temps que nous réclamons l'affectation de ces médecins…» Notre interlocuteur assure par ailleurs qu'en ce qui concerne le personnel paramédical et chirurgical, il n'y a pas de problème : «Le personnel paramédical existe et il est compétent. Nous sommes également bien étoffés en chirurgiens.» Pourquoi donc les médecins spécialistes fuient-t-ils l'hôpital de Guelma? Les réponses des uns et des autres ne sont pas convaincantes. Salaire, logement, considération… Ces problèmes ne sont-ils pas les mêmes partout dans le pays ? Le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière doit se pencher sérieusement sur ce problème, examiner les raisons du désintéressement de ces médecins spécialistes et trouver les meilleures solutions. Il y va de la santé des citoyens mais aussi de celle de tout le secteur. K. M. Cancer du sein et problèmes de goitre à Guelma Les habitants de Guelma réclament une étude «exhaustive» sur le cancer du sein et les problèmes de goitre, en constante augmentation dans la wilaya. Ils souhaitent une implication totale des secteurs concernés, dont celui du commerce, pour endiguer le phénomène de vente du sel non iodé. L'asthme et autres problèmes respiratoires sont aussi à étudier. «Les taux d'humidité sont assez élevés chez nous. Six barrages d'eau sont implantés autour de notre wilaya», font remarquer des personnes qui en sont atteintes.