A en croire des aviculteurs, dont certains sont affiliés à l'Association nationale de la filière avicole (ANFA), l'avenir de leur profession s'annonce des plus sombres. Selon nos interlocuteurs, leur filière est sujette à des déboires à répétition. «Les contrecoups reviennent par intermittence, ce qui va finir par décourager les plus obstinés à continuer à travailler», ont souligné nos interlocuteurs. Et d'ajouter : «De tels soubresauts, aussi contraignants, vont ruiner la filière.» Certains d'entre eux, forts de leur expérience et étant propriétaires de batteries de production d'assez grandes capacités d'élevage, sont également sceptiques. «La crise actuelle va révéler au moins une chose, à ceux d'entre nous qui continuent de croire que, derrière les déboires rencontrés, seule l'extrême volatilité des prix des intrants à la production (aliment du bétail, matériel biologique, produits vétérinaires, équipements) en est la cause, c'est faux. D'autres facteurs sont également à l'origine de cette crise. Une crise qui n'est pas la première du genre.» Il y a lieu en effet de rappeler que la filière a connu ses premiers problèmes en 1996, l'année où les pouvoirs publics ont introduit la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans cette activité. Une taxe très mal accueillie chez nombre d'aviculteurs. Selon eux, cette taxe n'incite pas au redoublement d'efforts. Cette mesure, qui était à l'origine de remous au sein de la filière avicole, a, par effet d'entraînement, donné lieu, entre 2001 et 2004, à un début de perturbation sur le marché. Ce qui s'est traduit sur le terrain par un fort déséquilibre entre l'offre et la demande, entrecoupée par de courtes durées d'un retour à l'accalmie. Soulignons au passage que la seule fois où les prix de la viande blanche ont chuté remonte à l'épisode de la crise aviaire. La crise s'est-elle installée dans la durée ? Une fois l'alerte passée, nous avons assisté au retour graduel de la hausse des prix avec pour apogée l'année 2007, période au cours de laquelle une panique s'est emparée de la filière avicole. Et ce, en raison de la hausse des prix des aliments de volaille. En l'espace de quelques semaines, le quintal d'aliments pour volaille est passé de 3 200 à 4 680 DA et plus pour ce qui concerne l'aliment de démarrage, dont le dosage doit être strict et des plus équilibrés en apport d'oligoéléments nutritifs pour le bon démarrage des élevages de poulet de chair. Cette hausse subite de l'aliment indispensable devient source de grandes inquiétudes chez les aviculteurs, notamment les petits producteurs aux capacités financières limitées. L'exigence de s'approvisionner en quantité suffisante pour faire démarrer un élevage de poulets de chair ou la mise en place de nouvelles batteries de poulet de ponte demande beaucoup d'argent, une condition que ne remplissent pas ces derniers. A cette époque, ils réaliseront aussi que les coûts de production devenaient de plus en lourds à supporter par rapport à leurs réelles capacités de financement. A noter également que cette tendance haussière de l'époque sur l'aliment indispensable a lourdement pesé sur l'activité des aviculteurs, occasionnant chez ces derniers des pertes sèches auxquelles ils ne pouvaient continuer à faire face. Effectivement, cette augmentation substantielle et inopinée, qui a surpris plus d'un producteur avicole, s'est traduite par un impact financier direct sur le coût de revient du poulet de chair, dont le prix de cession a presque doublé et engendré une mévente. En outre, les incertitudes autour des coûts des aliments de volaille sur le marché international avaient, finalement, poussé de nombreux petits éleveurs à mettre la clé sous le paillasson. Obérés, nombre d'aviculteurs n'ont eu d'autre alternative que de cesser toute activité. Pour les plus chanceux, la sortie de crise est venue par la location de leurs unités de production à des particuliers disposant d'argent frais et surtout voulant mettre à profit la conjoncture de baisse de l'offre, provoquée par le déficit de production, en jouant sur la spéculation qui a entièrement pris le devant de la scène sur le marché de la commercialisation de la viande blanche et de l'œuf. Qu'on en juge ! La situation restant sur l'offre, il en résulte une envolée des prix sans pareil sur les étals. Le poulet, par exemple, passe subitement de 210 à 280 DA voire à 320 DA en période de forte demande (fêtes religieuses). Un saut de 70 DA qui ne laisse pas insensible une grande partie des ménages, habituée à se rabattre sur le produit carné blanc, la viande rouge restant pour beaucoup inaccessible. Même les œufs n'ont pas échappé à la frénésie qui s'est emparé du marché de la volaille : ils caracolent sur les cimes des 12 DA. «Du jamais-vu !», s'exclame-t-on du côté des pères de famille. Les explications données à tout bout de champ à ces derniers sur le pourquoi de la hausse les laisseront dubitatifs. On savait que la filière avicole était en difficulté mais de là à ce que le prix à la consommation grimpe aussi haut. Le niveau de production avicole nationale est-il tombé si bas pour l'offre soit nettement en recul sur la demande de consommation ? Une hypothèse plausible puisque des abandons d'activité dans la filière avicole ont été signalés. «Les éleveurs ont cédé à la panique à cause des hésitations constatées dans le marché international des aliments de volaille. Les mises en place ont atteint leur plus bas niveau, depuis des années et les hangars sont presque vides», nous a-t-on confié au niveau de la chambre nationale de l'agriculture. On nous expliquera en clair : «L'inquiétude des aviculteurs s'est traduite sur le terrain par un déficit de l'offre, ce qui a conduit à une flambée soutenue des prix de la viande blanche.» Autre facteur derrière cette envolée : l'intervention dans le circuit d'une horde de spéculateurs. La mainmise de ces derniers sur le marché de la volaille a fini par ruiner de nombreux aviculteurs. Ces derniers ont dans certains cas choisi de brader leur production au lieu de la voir périr. Ce qui est saisissant dans cette flambée des prix de la viande blanche et tout particulièrement de l'œuf, c'est que, de nos jours, contrairement aux explications données, la donne a changé, dans le sens où l'argument de la cherté des aliments de volaille ne tient plus la route car ces derniers mois il y a eu une chute spectaculaire des prix des aliments de volaille chez les entreprises privées. Le quintal de l'aliment de volaille proposé au début de l'année à 4 000 DA a baissé graduellement pour atteindre les 3 400 DA chez les distributeurs privés. Le quintal de maïs négocié, il y a quelques mois seulement à 3 200 DA, est proposé aujourd'hui entre 1 500 et 1 600 DA signalent des responsables locaux des chambres d'agriculture. Pour ces responsables, il faut croire que les producteurs d'aliments de volaille continuent à appliquer les mêmes prix qu'avant la chute des cours des céréales. Les rares producteurs d'aliments qui ont bien voulu se prononcer sur la question nous ont précisé : «Avant de passer à la baisse de nos prix, il faudra que les stocks des matières achetées à prix fort soient épuisés.» Et de lancer : «Nous devrons attendre un ou deux mois pour que les cours mondiaux actuels de céréales se répercutent sur les unités de production d'aliment du bétail.» Désorganisation de la filière Dans le milieu avicole existe un autre son de cloche. «Ce n'est pas seulement la cherté des aliments ou les autres coûts de revient à la production qui sont derrière la crise dans ce segment d'activité. Il existe d'autres facteurs : techniques et spéculatifs», observent les spécialistes en matière de production animale et très au fait de l'évolution qu'a connue la filière depuis sa création. «Mais tout se passe comme si de rien n'était», rétorquent d'anciens aviculteurs. Quelques-uns, abordés lors de rencontres professionnelles, nous ont affirmé : «La filière repose sur une foule de contraintes qui rendent sa survie absolument aléatoire, à l'image de la prolifération de petits élevages (5 000 sujets et moins). Cette armada de petits éleveurs non agréés gangrène la filière.» Soutenant dans la foulée qu'«il ne s'agit pas d'un problème de hausse des prix de l'aliment, ce qui se confirme de jour en jour ; aujourd'hui la menace vient de la désorganisation totale du secteur du fait du manque de conviction d'insuffler une dynamique nouvelle dans la filière qui la mettrait une fois pour toutes à l'abri d'aléas qui pourraient intervenir». Pour ces derniers, l'avenir de la profession dépend essentiellement de la gestion des reproducteurs de cheptel avicole qui, malheureusement, continue de dépendre à 100% de l'importation. Selon eux «une régulation s'impose et doit débuter au sommet». «En clair, il faudra rapidement s'auto-suffire en poussins reproducteurs de chair pour la production de viande blanche et aussi de poussins reproducteurs de ponte, pour la production d'œufs de consommation.» Ils défendront leur point de vue en arguant : «Si nous tenons compte des normes de consommation estimées au niveau du marché national de 9 à 10 kg de viande blanche par habitant, l'importation se situe entre 2,5 et 3 millions de reproducteurs en chair. Mais en réalité, on ne se conforme pas à ce chiffre. Pis, parfois on se retrouve avec le double des besoins ; cette inondation du marché met en danger le producteur qui, menacé de faillite, cède sa production au prix nettement inférieur au coût de production ; beaucoup parmi les aviculteurs abandonnent l'activité, ce qui entraîne l'indisponibilité du produit sur le marché et la hausse automatique des prix à la consommation. C'est le cas de la situation actuelle où le prix du poulet vif est passé de 90 à 190 DA le kilogramme.» Il en est de même dans le segment production d'œufs de consommation. On apprendra en lisant un rapport de l'ANFA que «la satisfaction des besoins du marché national nécessite 300 000 reproducteurs, soit une production de 3,5 à 4 milliards d'œufs. Actuellement, l'importation de poussins reproducteurs de ponte est de l'ordre de 700 000 sujets, le double des besoins, provoquant une production double : 8 milliards d'œufs de consommation. Avec cette inondation du marché, le producteur est obligé de céder la plaque de 30 œufs entre 120 et 130 DA alors que le coût de production est de l'ordre de 150 DA la plaquette». «Dans une filière comme dans l'autre, la désorganisation du marché est telle que le principe de l'offre et de la demande n'est pas respecté, ce qui cause la perte, pour ne pas dire la faillite, à bon nombre d'éleveurs». La solution à cette désorganisation de la filière viendrait, selon les observateurs de la filière avicole, «du respect des importations jusqu'à concurrence des besoins locaux. C'est une règle à mettre en œuvre en urgence si l'on veut résoudre la grande fluctuation des prix de la volaille et des œufs», estiment les professionnels. Autre réflexion sur la problématique de la filière, celle avancée par M. Nouad, cadre consultant auprès du ministère de l'Agriculture et du Développement rural : «La filière avicole est actuellement désarticulée et nécessite la mise en place de nouvelles formes d'intervention qui viseraient notamment la simulation de la production et la réduction de coûts de revient, la régulation de la filière et la réduction des dépenses en devises.» Les enjeux futurs exigent des solutions pour la sauvegarde de la filière Il ne fait aucun doute que la filière accumule, ces dernières années, des déficits réels. Dès lors, les pouvoirs publics sont plus qu'interpellés. Comme première solution, les aviculteurs souhaitent, par la voie de leur association, une suspension de la taxe douanière appliquée à l'importation des intrants, voire une diminution sensible. Dans ce même ordre d'idées, un plan de sauvetage de la filière s'impose. Les accords de libre-échange avec l'UE sont là pour nous le rappeler, d'autant que nous sommes à la veille (2010) d'un rabattement de la taxe douanière sur l'importation de poulet évidé de l'ordre de 50%. Ce qui rendra ainsi le produit guère compétitif par rapport à celui importé. Et quand on sait que le poulet brésilien est vendu à l'exportation à moins d'un demi-dollar, il y a tout lieu de s'inquiéter sur l'avenir de la filière avicole une fois notre adhésion à l'OMC confirmée. Et nous courons vers ce scénario catastrophe dans la filière, à moins que, dès à présent, les pouvoirs publics prennent le taureau par les cornes afin de se préparer à devenir plus compétitifs. Z. A.