Par son anticonformisme affiché et vécu en dilettante, le poète Jacques Prévert, par ailleurs scénariste et dialoguiste productiviste, n'envoie pas que des tartes à la crème sur la figure des bien-pensants obsédés par leurs intérêts mesquins. Par exemple, pour lui «la meilleure façon de ne pas avancer est de suivre une idée fixe». Passe encore pour une seule idée fixe, mais quand une conduite personnelle ou institutionnelle suit le sillon d'une kyrielle poussiéreuse d'idées fixes, c'est s'amarrer sur tous les bollards de tous les ports du passé. Certains appellent cela l'attachement aux valeurs ancestrales et d'autres en font un profitable commerce pour retarder l'avènement d'une modernité dans laquelle ils ont tout à perdre. Mais pourquoi, diable, cette propension des Algériens, ceux du haut comme ceux du bas, à replonger toujours les pieds dans les marigots de la sténose occlusive ? Droit derrière, quoi ! Face à la crise économique qui plombe le pays depuis maintenant trois ans, trop de regards continuent de scruter le passé quand l'urgence est à affronter courageusement le présent pour mieux préparer l'avenir. On en oublie presque que depuis janvier 2017 nous sommes plus de 41 millions d'Algériens, toujours en majorité agglutinés dans l'espace réduit des 200 kilomètres de bande côtière dans un pays de 2,3 millions de kilomètres carrés. On l'avait aussi presque oublié aussi, depuis 2015, le croît démographique est de nouveau en plein essor avec plus d'un million de naissances vivantes chaque année. Et il faudra y faire face, d'une manière ou d'une autre, mais de préférence de la meilleure manière qui soit. On ne peut pas dire que rien n'a été entrepris, non. C'est que durant ces trois dernières années, il a été beaucoup question d'un réajustement structurel qui découplerait significativement l'économie du pétrole qui procurait à l'Algérie jusqu'à 97% de ses recettes en devises. Lesquelles, faut-il tristement le souligner, faisaient vivre tout le monde, entreprises improductives et foules perdues sans la générosité de l'Etat-providence. Si ces trois ans ont été prolixes en incantations pour un changement unanimement souhaité et réclamé, dans les faits un surplace pesant a bloqué jusqu'au renouvellement de la pensée. Mais la méthode s'apparentait plus au bachotage, qui est loin d'être une préparation sérieuse au bac, qu'à un réveil des consciences stimulées par l'effort collectif et porté par une gouvernance en rupture sérieuse avec certaines politiques du passé totalement contreproductives. Un glissement vers ces politiques, visible dans certaines décisions qui méritaient approfondissement, condamnerait le pays à revivre ce passé sans les bienfaits qu'il avait apportés aux citoyens. C'est un fait que l'urgence n'est pas toujours bonne conseillère, mais si son sceau s'impose, autant que ce soit dans le respect des grands principes de la rationalité économique. Le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, pressé il est vrai par une multitude de contraintes, réagit par des mesures drastiques pour réguler et discipliner les comportements économiques. Trop drastiques même. Car les interdits qu'il édicte ne pourront porter leurs fruits qui si un Etat qui a retrouvé la plénitude de ses prérogatives et de son autorité veille au grain. Or, les pouvoirs publics, malgré la dimension prise par la spéculation, le contournement de la loi et la corruption, n'ont pas été en mesure d'endiguer le phénomène de la fuite des capitaux facilitée par la surfacturation. L'administration reste toujours lente dans l'accompagnement de l'acte d'investir, alors que le cafouillage né de la restriction des importations et l'imposition des licences du même nom risque d'ouvrir la voie à un retour non souhaitable d'un dirigisme d'Etat incompatible avec une économie ouverte. A. S.